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j’avais commencé ces questions dans l’espoir de différer d’avec vous, car l’aime la discussion. »

« Ah ! ça oui, il l’aime ! grommela le squire ; c’est bien l’être le plus contrariant ! »

M. Dale. « La discussion est le sel d’un entretien ; mais je crains d’être du même avis que vous, ce à quoi je ne m’étais pas du tout attendu. »

Randal s’inclina et répondit : « Deux hommes instruits ne peuvent différer quand il s’agit de l’application de la science.

M. Dale (dressant l’oreille}. L’application de la science à quoi ?

Randal. À l’acquisition du pouvoir.

M. Dale (enchanté). C’en est l’application la plus vulgaire ou la plus élevée ; mais vous voulez parler de la plus élevée ?

Randal (intéressé à son tour). Qu’entendez-vous par l’application la plus vulgaire ou la plus élevée ?

M. Dale. Par la plus vulgaire, j’entends l’intérêt personnel ; par la plus élevée, la bienfaisance et le pouvoir de faire du bien aux autres. »

Randal réprima le sourire de dédain qui déjà plissait sa lèvre.

« Vous parlez, monsieur, comme il convient à un ecclésiastique ; j’honore vos sentiments et j’y souscris, mais je crois que la science qui ne vise qu’au pouvoir de faire le bien obtient bien rarement en ce monde un pouvoir quelconque.

Le squire (sérieusement). Cela est vrai ; je ne puis jamais faire ma volonté quand je désire faire quelque bien, et Stirn finit toujours par faire la sienne lorsqu’il a quelque idée diabolique.

M. Dale. À quoi ressemble, selon vous, monsieur Leslie, la puissance intellectuelle cultivée à l’extrême, mais entièrement dépourvue de bienfaisance ?

Randal. Je ne sais… À quelque grand homme… je dirais presque à tous les grands hommes qui ont triomphé de leurs ennemis et atteint leur but.

M. Dale. Je doute qu’aucun homme soit jamais devenu grand qui n’ait pas voulu être bienfaisant, bien qu’il ait pu se tromper quant aux moyens. César était naturellement bienfaisant et Alexandre aussi. Mais une puissante intelligence, cultivée à l’excès et entièrement dépourvue de la volonté du bien, ne ressemble qu’à un seul être, et c’est au principe du mal.

Randal (surpris). Vous voulez dire le diable ?

M. Dale. Oui, monsieur, le diable, et encore n’a-t-il pas réussi. Le diable lui-même, monsieur, a éprouvé ce que vos hommes politiques appelleraient un échec incontestable.

Mistress Dale. Mon ami ! mon ami !

M. Dale. Notre religion l’enseigne ; Satan était un ange et il est tombé. »

Il y eut une pause solennelle. Randal était plus frappé de cette idée qu’il ne lui convenait de l’avouer. Le dîner était fini et les domestiques s’étaient retirés. Harry jeta un coup d’œil à Carry, qui se