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peu d’étendue, qui, bien qu’anonyme, fit néanmoins une grande impression sur le public. Il traitait le sujet qu’avaient discuté Burley et Randal. Il fut cité tout au long dans plusieurs grands journaux, et Burley bondit un matin en s’écriant : « Ce sont mes pensées !… mes propres paroles ! Qui diable peut être l’auteur de ce pamphlet ? »

Léonard prit le journal des mains de Burley. Les éloges les plus flatteurs précédaient les citations, et ces citations étaient comme stéréotypées sur les paroles de Burley.

« Pouvez-vous méconnaître l’auteur ? s’écria Léonard avec un ton de dégoût et de mépris. C’est le jeune homme qui est venu s’introduire dans votre cerveau et transformer votre science…

— En pouvoir, interrompit Burley avec un éclat de rire, mais un éclat de rire douloureux. Vraiment, c’est là de la bassesse ; je le lui dirai quand il reviendra.

— Il ne reviendra plus, » dit Léonard ; et Randal ne revint plus en effet, mais il envoya à Burley un exemplaire du pamphlet avec un billet fort poli, dans lequel il reconnaissait négligemment qu’il avait beaucoup profité des remarques et des avis de M. Burley.

Bientôt on lut dans tous les journaux que le pamphlet qui avait fait tant de bruit était l’œuvre d’un tout jeune homme, parent de M. Audley Egerton. On concevait les plus grandes espérances de la future carrière de M. Randal Leslie.

Burley voulut rire encore, mais son chagrin était visible.

Léonard méprisait et haïssait cordialement Randal, et il se sentit porté à plaindre Burley avec une noble et compromettante pitié. Dans son désir de calmer et de consoler l’homme qu’il croyait frustré de sa renommée, il céda de plus en plus à l’attrait de cette intelligence déchue. Il accompagna Burley dans les antres où son ami passait ses soirées ; et peu à peu, malgré lui et tout en se faisant des reproches, il arriva à partager le mépris de son cynique compagnon pour la gloire, sa dégradante et insouciante philosophie.

Burley retourna sur les bords de la Brent pour pêcher sa perche borgne, et Léonard l’accompagna. Ses sentiments étaient maintenant bien différents de ceux qu’il éprouvait lorsque, se reposant à l’ombre du vieil arbre, il causait d’avenir avec Hélène. Mais c’était chose touchante de voir combien la nature de Burley sembla changer, tandis qu’en se promenant sur les bords de la petite rivière il se mit à parler de son enfance. L’homme fait parut alors revenu à l’innocence de l’enfant. Il s’inquiétait réellement fort peu de la perche, qui persistait à être introuvable ; mais il respirait l’air, il jouissait de la beauté du ciel, du bruissement de l’herbe et du murmure des eaux. Ces excursions dans les lieux qu’avait visités sa jeunesse semblaient le régénérer. Alors son éloquence prenait un caractère tout pastoral, et Isaac Walton lui-même eût pris plaisir à l’entendre. Mais une fois de retour au milieu de la fumée de la capitale et sous les becs de gaz, qui lui faisaient oublier le coucher du soleil empourpré