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CHAPITRE XXXIII.

Le chaudronnier, plus noir et plus refrogné que jamais, regarda avec stupéfaction son ancienne connaissance si étrangement métamorphosée. Il étendit même ses mains noires comme s’il eût voulu se convaincre par le toucher que c’était bien Léonard en chair et en os qu’il avait devant lui, sous des vêtements si merveilleusement élégants.

Léonard se recula instinctivement, pendant que sous l’impression de sa surprise, il balbutiait ces mots :

« Vous ici, monsieur Sprott ! Qui peut vous amener si loin de votre demeure ?

— De ma demeure ! répéta le chaudronnier. Je n’ai pas de demeure, moi, ou plutôt voyez-vous, monsieur Fairfield, je me fais une demeure partout où je vais ! Dieu merci ! je n’ai pas de paroisse ! Je vas tantôt par ici, tantôt par là, trouvant une demeure partout où il y a des casseroles à raccommoder et des ferrailles à vendre. »

Ce disant, le chaudronnier déposa à terre ses paniers, poussa un grognement de satisfaction et s’assit tranquillement sur la barrière que Léonard venait de quitter.

« Mais, Dieu me pardonne ! reprit M. Sprott, en regardant encore davantage Léonard. Vous voilà devenu un beau monsieur. »

Léonard, songeant qu’il n’était ni nécessaire, ni convenable de continuer ses relations avec Sprott, ni prudent de s’exposer à la série de questions que celui-ci ne manquerait pas de lui adresser, tendit une couronne au chaudronnier, et lui dit en souriant à demi :

« Excusez-moi ; il faut que je vous quitte ; j’ai affaire à la ville ; faites-moi le plaisir d’accepter cette bagatelle. » Puis il s’esquiva en toute hâte.

Le chaudronnier regarda longtemps sa couronne, puis la glissant dans sa poche, il se dit à lui-même :

« Oh ! de l’argent pour que je me taise ! Ça ne réussira pas, mon muscadin ! »

Après ce court soliloque, il demeura silencieux pendant quelques instants, jusqu’à ce qu’il eût presque perdu de vue Léonard ; puis, se levant, il reprit son fardeau, et marchant le long des haies, il suivit le jeune homme jusque dans la ville. Arrivé à la dernière pièce de terre, il vit par-dessus la haie, Léonard qui était accosté par un gentleman bien mis, à la démarche fière. Ce gentleman le quitta bientôt et s’avança, en sifflant très-haut, dans la direction du chaudronnier. Sprott promena ses regards autour de lui, mais la haie était trop bien soignée pour lui offrir une cachette ; aussi résolut-il