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toute virile contrastait d’une façon singulière avec sa figure si délicatement féminine et cette douceur de caractère qui ajoutait tant de grâce à sa fierté. Mais en ce moment on eût dit que l’enfant parlait avec l’autorité d’une reine, je dirais presque avec l’exaltation d’une muse. Il sentit pénétrer en lui comme un nouveau courage d’une nature singulière.

« Puissé-je me rappeler ces paroles ! » murmura-t-il d’une voix à peine articulée.

La jeune fille se retourna et l’observa avec des yeux que leur humidité rendait encore plus brillants. Elle lui tendit la main avec vivacité, et le voyant se pencher sur cette main, avec une grâce que lui inspirait sa naïve émotion, elle lui dit :

« Eh bien ! si vous vous souvenez de mes paroles, toute enfant et toute jeune fille que je suis, je croirai avoir aidé un brave cœur à affronter une grande lutte pour la gloire. »

Elle resta encore là un moment, puis souriant comme d’une pensée qui lui venait à l’esprit, elle disparut au milieu des arbres.

Après être resté longtemps pensif, Léonard revint peu à peu de la surprise et de l’émotion dans laquelle Violante l’avait jeté, et se dirigea vers la maison de Riccabocca. Celui-ci était absent ; Léonard monta machinalement sur la terrasse et s’occupa des fleurs, mais les yeux noirs de Violante étaient présents à son esprit, et la voix de la jeune fille résonnait encore à ses oreilles.

Enfin Riccabocca parut sur la route. Il était accompagné d’un ouvrier qui portait sous son bras quelque chose qu’on ne distinguait pas très-bien.

L’Italien fit signe à Léonard de le suivre dans son cabinet, et s’entretint affectueusement avec lui ; enfin, après lui avoir emballé, sous la forme très-portative d’aphorismes et de proverbes, une provision considérable de sagesse, le philosophe le laissa seul pendant quelques instants, puis revint avec sa femme ; il avait à la main un sac de voyage.

« Nous ne pouvons pas faire beaucoup pour toi, Léonard, et l’argent est la plus mauvaise chose qu’on puisse donner comme souvenir ; mais, ma femme et moi, nous avons réuni nos deux têtes pour te composer un petit bagage. Giacomo, qui était dans le secret, nous assure que ces vêtements te conviendront très-bien. Il t’a dérobé, je crois, un de tes habits pour avoir ta mesure. Mets-les quand tu iras chez tes parents ; on ne saurait croire l’effet que produit sur l’esprit des gens la coupe d’un habit.

— Les chemises sont en très-bonne toile de Hollande, dit mistress Riccabocca en ouvrant le sac.

— Ne nous occupons pas des détails, chère amie, dit le philosophe ; les chemises sont comprises sous la dénomination générale de vêtements. Tiens, Léonard, accepte ceci comme un souvenir plus personnel. Je l’ai portée bien des années à une époque où le temps était une affaire importante pour moi, à une époque où des destinées plus nobles que les miennes dépendaient d’une seule occasion favo-