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CHAPITRE XII.

Le curé rejoignit Richard. La nuit était belle, et la lune brillait au ciel.

« Ainsi, dit Richard, d’un air grave, cette pauvre Jeanne, qui a toujours été le souffre-douleur de la famille, a fait tout ce qu’elle a pu pour bien élever son garçon : et ce jeune homme est réellement ce que vous dites, hein ? il pourrait réussir à l’Université.

— J’en suis certain, dit le curé, en s’appuyant sur le bras que M. Avenel venait de lui offrir.

— Je voudrais bien le voir, dit Richard. A-t-il bonne tournure, ou n’est-ce qu’un lourdaud ?

— Il parle si correctement, il a à la fois tant de dignité et de modestie que plus d’un riche gentilhomme serait fier de l’avoir pour fils.

— C’est singulier, dit Richard ; comme il y a des contrastes dans les familles ! Ainsi voilà Jeanne qui ne sait ni lire, ni écrire, et qui était bien bonne à être la femme d’un ouvrier ; et quand je songe à ma pauvre sœur Nora, vous ne le croiriez pas, monsieur : mais c’était la femme la plus distinguée du monde, même quand elle était tout enfant ; car ce n’était qu’une enfant lorsque je partis pour l’Amérique. Et souvent, bien souvent, en avançant dans la vie, je me disais : Ma petite Nora deviendra une belle dame ! Pauvre enfant ! elle est morte bien jeune ! »

La voix de Richard s’était altérée. Le curé pressa affectueusement le bras sur lequel il s’appuyait, et dit, après un moment de réflexion :

« Rien n’élève les sentiments comme l’éducation, monsieur. Je crois que votre sœur Nora avait reçu de l’instruction et qu’elle avait tous les talents nécessaires pour en tirer parti : il en serait de même de votre neveu.

— Je le verrai, dit Richard, en frappant du pied avec force, et s’il me plaît, je serai pour lui un père. Voyez-vous, monsieur… Monsieur… quel est votre nom, s’il vous plaît ?

— Dale.

M. Dale, voyez-vous : je suis garçon. Un jour peut-être me marierai-je : peut-être aussi ne me marierai-je pas. Je ne veux pas prendre de brusque résolution. Mais quoi qu’il arrive, je serai toujours charmé d’avoir un neveu dont je n’aie pas à rougir. Comme vous voyez, monsieur, je suis l’artisan de ma propre fortune. J’ai bien ramassé par-ci par-là, je ne sais trop comment, quelques bribes d’instruction, et ayant acquis un certaine position après bien des efforts, je reviens dans mon vieux pays : mais je sais que je ne suis