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vellement d’affection autour de lui, comme un homme heureux de se sentir vivre : son cœur battit plus vite ; sa démarche devint plus dégagée ; sa bonne physionomie devint plus aimable que jamais : il était impossible de n’être pas gai pendant toute une semaine, quand on avait entendu ses francs et joyeux éclats de rire.

Sa pensée reconnaissante se retourna vers Jemima et Riccabocca qui avaient été dans cet integratio amoris général les principaux instruments de la Providence. À le voir, vous eussiez cru que le squire allait se marier une seconde fois avec son Henriette.

Le mariage fut donc célébré d’abord, à huis clos, par un prêtre catholique qui demeurait à quelques milles de là, ensuite publiquement dans l’église d’Hazeldean.

Ce fut la noce champêtre la plus gaie qu’on puisse imaginer ; les jeunes filles du village jonchèrent la terre de fleurs : une tente fut placée à l’endroit le plus pittoresque du parc, au bord du lac, car on devait danser jusqu’à une heure avancée de la journée : un bœuf tout entier était à la broche. Et jusqu’à M. Stirn ? Qu’est-ce que je dis ? non, M. Stirn n’était pas présent ! le spectacle de tant de bonheur eût été son coup de mort. Le papiste, qui, par ses sorcelleries, avait dégagé Lenny des ceps et qui s’y était mis lui-même afin de les discréditer ! Il eût préféré voir miss Jemima épouser le diable. D’ailleurs il était bien convaincu que c’était tout un. Aussi Stirn avait-il demandé la permission d’aller soigner son oncle, le prêteur sur gages, qui devait subir la cruelle opération de la pierre.

Le capitaine Higginbotham avait été invité, mais au grand étonnement de Jemima, il avait répondu à cette invitation par une lettre confidentielle exprimant sa douleur que miss Jemima, qui n’était pas sans connaître l’attachement dévoué qu’il avait pour elle, fût contrainte par ses parents de contracter un mariage barbare avec un étranger de la mine la plus repoussante et de la condition la plus abjecte ; mais laissant là les sentiments du capitaine, je reviens au mariage d’Hazeldean juste à temps pour voir le marié aidant la mariée, dont la physionomie, à travers ses larmes et ses affectueux sourires, était aimable et touchante, à monter dans une voiture que le squire avait mise à leur disposition, et partant pour la classique excursion nuptiale au milieu des bénédictions de la multitude assemblée.

Peut-être paraîtra-t-il étrange, aux gens superficiels, de voir ces spectateurs campagnards applaudir et bénir le mariage contracté par une Hazeldean d’Hazeldean avec un pauvre étranger exilé ; mais outre que Riccabocca était devenu pour ainsi dire un homme du pays, et passait pour un gentleman bien élevé, il est à remarquer qu’en général dans les cérémonies du mariage la mariée accapare tellement l’intérêt, la curiosité et l’admiration du public que le marié passe quasi inaperçu. C’est un être purement passif, la cause occasionnelle et non remarquée de la satisfaction générale. Ce n’était pas Riccabocca lui-même qu’ils applaudissaient et bénissaient : c’était le monsieur en gilet blanc qui avait fait de miss Jemima madame Rickeybockey !