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dans une si sombre et si aride tristesse que son esprit en avait conservé une impression puissante et ineffaçable. Elle était située au milieu des marécages qui environnaient jadis le château de Gilles de Retz, ce seigneur ambitieux, ce redoutable nécromancien, qui périt sur un bûcher, après une carrière dont la puissance et la splendeur semblaient justifier la croyance populaire qui lui attribuait un pouvoir occulte et surnaturel.

Ce fut en ces lieux que se fixa Maltravers, dans une auberge pauvre et isolée, éloignée de toute autre habitation. Dans les chagrins moins violents on éprouve une espèce de volupté à braver les souffrances physiques ; mais l’angoisse inexorable, immense de Maltravers l’empêchait même de les sentir. Les grandes douleurs produisent une espèce de magnétisme, par lequel le corps semble s’endormir, et ne distingue plus de différence entre le lit de Damien et la couche de roses du sybarite. Il laissa sa voiture et ses domestiques dans une ville située à quelques milles de distance. Il vint seul dans cette triste retraite ; son âme assombrie trouva quelque chose de sympathique dans la saison d’hiver, dans l’aride région, et dans l’aspect de cette nature dévastée, sauvage, où rien du moins ne semblait railler sa douleur. Il serait impossible de décrire ce qu’il ressentait alors, ce qu’il souffrait. Il suffit de dire que, en dépit de tout, l’élément divin de la force humaine ne fut pas entièrement anéanti en lui, et que chaque jour, chaque nuit, à chaque heure, il priait le Grand Consolateur de l’aider à lutter contre un amour criminel. Nul homme ne combat tout à fait en vain, quand il combat avec autant de sincérité et de ferveur ; car dans chacun de nous il y a, quand nous voulons bien l’évoquer, un Esprit qui doit finir par l’emporter, sanglant, mais triomphant, sur le sort et sur les démons.

Un jour, après un long silence de Vargrave, dont les lettres étaient pleines d’assurances consolantes qu’Éveline recouvrait progressivement la joie et l’espérance, le messager de Maltravers revint de la ville voisine tenant à la main une lettre de Montaigne. Elle contenait, sous une enveloppe blanche (le silence de Montaigne lui disait combien il avait perdu dans l’estime de son ami), la missive de lord Doltimore. Elle renfermait ces mots :

« Mon cher monsieur,

« Apprenant que vous vous proposez de rester longtemps