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En attendant, il est consolant de savoir que rien de véritablement immoral ne s’empare de la popularité pour longtemps et n’est, par conséquent, longtemps dangereux ; ce qu’il y a de dangereux dans une œuvre de génie disparaît de soi-même dans l’espace de quelques années. Nous pouvons maintenant en lisant Werther instruire nos cœurs par ce tableau de la faiblesse et de la passion, et charmer notre goût par son exquise et incomparable simplicité de construction et de détails, sans crainte de nous brûler la cervelle en bottes à l’écuyère. Nous pouvons nous laisser emporter aux nobles sentiments exprimés dans les Brigands et en retirer une idée plus claire de la profonde immoralité des vertus hypocrites, sans pour cela courir le danger de devenir des bandits ou des assassins, par amour pour la vertu. La Providence, qui a voulu que de tout temps et en tout pays le génie de quelques-uns fût le guide et le prophète de la multitude, et qui nous a donné la littérature comme un agent de la civilisation, de l’opinion et de la loi, a doué les éléments dont elle se sert d’une puissance divine de purification intime. Avec le temps et le repos, le fleuve reprend de lui-même sa limpidité ; les gaz impurs s’évaporent ou sont neutralisés par les éléments plus sains qui les absorbent. Il n’y a que les sots qui traitent d’immorales les œuvres d’un maître. Il n’existe pas dans la littérature du monde un seul ouvrage populaire qui soit encore immoral deux siècles après avoir paru. Car, dans le cœur des nations, le faux ne vit pas si longtemps ; et le vrai reste moral jusqu’à la fin des temps.

Maltravers tourna son regard curieux et pensif de l’état littéraire à l’état politique de la France. Il fut frappé de la ressemblance qui existe sous un rapport entre cette nation, si civilisée, si complétement européenne, et les empires despotiques de l’Orient. Les convulsions de la capitale y décident du sort du pays ; Paris est le tyran de la France. Il vit, dans cette concentration inflammable du pouvoir, toujours grosse de menaces pour la France, une des causes qui font que les révolutions de cette nation puissante et policée sont si incomplètes et si peu satisfaisantes, et que, comme le cardinal Fleury, système après système, et gouvernement après gouvernement,

Floruit sine fructu,
Defloruit sine luctu.