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DE L’ASIE FRANÇAISE

qu’elles sont reconnues, exerce sur l’exportation des caoutchoucs une action dont les statistiques du commerce de la colonie permettent de mesurer l’importance et les progrès. C’est dans les tableaux statistiques relatifs à 1898 que le caoutchouc figure pour la première fois parmi les produits du cru de la colonie exportés : cette année-là, il en sortit de l’Indo-Chine 9.000 kilog. environ ; en 1899, l’exportation est passée à 52.813 kilog. et, pour 1900, elle s’est élevée, dit une note du Bulletin économique (n° de février 1901), à 339.100 kilog. Ce caoutchouc provient, en majeure partie, pour 1900, du Laos et de l’arrière-pays des provinces de Thanh-hoa, de Nghé-an et de lafinh, avec Vinh, devenu le principal marché de caoutchouc des provinces septentrionales de l’Annam, comme port d’exportation[1].

Grandes manœuvres au Tonkin

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Les journaux de l’Indo-Chine arrivés par le dernier courrier ont donné le programme des grandes manœuvres qui devaient avoir lieu dans les premiers jours de mars au Tonkin. C’est dans la région des provinces de Bac-ninh et de Bacgiang, proche la gare de Seno, que l’on projetait de faire ces exercices, les premiers de ce genre qui soient exécutés au Tonkin. Le général Dodds, commandant en chef des troupes de l’Indo-Chine, devait diriger en personne les manœuvre, et les troupes devaient être groupées en deux brigades.

CHINE

La question de Mandchourie.

Les affaires de Chine ont été absolument dominées pendant les dernières semaines par la question de Mandchourie. On a à peine parlé des négociations de Pékin, qui semblent, d’ailleurs, fort ralenties parce que les puissances ont encore à s’entendre sur divers points, en ce qui concerne l’indemnité à demander à la Chine.

Elles ne savent même pas quelle somme elles exigeront — au moins un milliard — ni au moyen de quelles ressources la Chine fera face aux charges qui en résulteront pour elle. Les puissances proposent généralement une augmentation des droits des douanes impériales chinoises, fixés par traité à 5 % ad valorem, tandis que l’Angleterre répugne à laisser imposer ce sacrifice à son commerce.

Par contre, si les négociations de Pékin font, en ce moment, peu parler d’elles, le conflit entre les politiques anglaise et russe à propos de la Mandchourie a attiré beaucoup d’attention. Disons tout de suite que, si l’Angleterre a obtenu un succès de forme, si elle est parvenue à empêcher la Chine de ratifier un arrangement avec la Russie, qui, sous couleur de préparer l’évacuation de la Mandchourie par les soldats du Tsar, consacrait en réalité les prétentions russes sur cette province, la politique de la Russie n’a pas changé, elle s’est au contraire affermie : le gouvernement de Saint-Pétersbourg a déclaré, dans une note officielle, qu’il n’évacuerait pas la Mandchourie. Et on ne voit pas, dans la situation diplomatique actuelle, de quel côté l’Angleterre trouverait les moyens de l’y contraindre.

Depuis très longtemps le bruit courait qu’un accord secret était en négociation entre la Russie et la Chine relativement à la Mandchourie. Les Anglais avaient même fait des questions à la Russie, et le comte Lamsdorf, ministre des affaires étrangères russe, avait répondu à sir Charles Scott, ambassadeur britannique à Saint-Pétersbourg, qu’il ne s’agissait que d’un modus vivendi qui n’altérait en rien les droits de la Chine sur la Mandchourie. À vrai dire, on pouvait ainsi présenter les choses, mais non sans une certaine ironie. Il est bien vrai que le projet de traité ne modifiait pas le status de la Mandchourie, mais c’est parce que les Russes en sont déjà complètement maîtres en fait. Ce traité était, peut-être, un modus vivendi, mais les modes qu’il établissait répondaient à la situation créée par la mainmise de la Russie sur le pays mandchou. On s’en est aperçu lorsque l’agence Reuter a publié le projet. Sans doute le gouvernement de Saint-Pétersbourg a déclaré que cette version était apocryphe. Pour cette raison, et parce que le traité a été abandonné, nous ne publierons pas la traduction du document publié par l’agence Reuter. Il est probable, cependant, qu’il ne s’éloignait pas beaucoup de la vérité. D’après ce texte, la Russie aurait demandé à la Chine de souscrire à la limitation du nombre de ses troupes en Mandchourie et à n’y pas avoir d’artillerie. Elle se faisait confirmer la concession du droit de construire un chemin de fer direct de Mandchourie à Pékin. Enfin, elle se faisait reconnaître par la Chine le monopole des mines et des chemins de fer en Mongolie et en Kachgarie. La Chine aurait même pas eu le droit d’établir une voie ferrée dans ces provinces sans le consentement de la Russie.

L’opinion anglaise s’est vivement émue ; des questions ont été sans cesse posées par des membres des Communes au gouvernement qui a toujours répondu avec une extrême réserve. On comprendra d’ailleurs qu’il l’ait gardée en tisant le texte de la motion suivante, proposée dans la séance du 2 avril par sir E. Ashmead Bartlett : « Aucun règlement de la crise chinoise actuelle ne sera satisfaisant pour cette Chambre, à moins qu’il n’exclue complètement le contrôle politique et militaire de la Russie sur la Mandchourie. » Mais, si le gouvernement britannique ne pouvait s’associer à des audaces pareilles, il montait une sorte de cabale diplomatique contre le traité russo-chinois. Six puissances, l’Angleterre, l’Allemagne. les États-Unis, le Japon, l’Autriche-Hongrie et l’Italie, faisaient des remontrances à la Chine sur l’importunité et même le danger de conclure un arrangement séparé avec une nation étrangère, tandis qu’elle négociait un règlement avec l’ensemble des puissances.

  1. On trouvera un très intéressant rapport de M. Capus, directeur de l’agriculture et du commerce de l’Indo-Chine, sur les ressources de la colonie en caoutchouc dans la Revue coloniale (n° de mars 1900).