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récits de voyages

et cette ombre était silencieuse, immobile et noire comme la nuit sur les tombeaux ; les précipices, d’où parfois, quand les orages s’y engouffrent, s’élèvent comme des soupirs arrachés aux entrailles de la terre, étaient étouffés sous l’épaisse dépouille des feuilles mortes, que le vent d’automne leur avait jetées par tourbillons ; les lacs, arrondis et creusés au pied des montagnes, semblaient comme de grands réservoirs, pleins des larmes de la nature agonisante ; l’espace muet était déserté de tous ses hôtes, si ce n’est par le sinistre corbeau, dont l’aile noire passait comme une raie, aussitôt effacée que découpée, sur la nue immobile ; les petites rivières, çà et là, tiraient péniblement leurs eaux déjà pesantes et engourdies ; partout le silence, une atmosphère regorgeant de tristesse, une sorte de saisissement de la nature entière, dans lequel toute vie s’était arrêtée soudain, et le crépuscule épaissi donnant à tous les objets d’alentour des formes de spectres et de fantômes, qui fuyaient épouvantés devant le souffle brûlant et le jet de feu sanglant de la locomotive.