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désolent les esprits sérieux et détournent des objets dignes d’attention. Le monde est plein d’événemens, de grosses questions s’agitent, des faits d’une incalculable portée passent et tout cela n’est rien pour nous, nous en saisissons à peine une vague et bien douteuse notion dans des reproductions étrangères puisées invariablement aux mêmes sources, choisies dans un même et unique ordre d’idées. Il est pour ainsi dire défendu de sortir notre esprit de la sphère locale où nous nous agitons, et c’est d’après elle que nous voyons tout ce qui se passe dans le monde. Y a-t-il quelque chose en dehors de la province de Québec ? Oui, puisque nous entendons comme un bruit confus, un vaste bourdonnement qui nous fait dresser l’oreille, mais sans rien nous apprendre, semblables au voyageur isolé dans une forêt, et à qui le retentissement lointain des vagues de l’océan révèle un monde extérieur, mais qu’il ne peut ni voir, ni comprendre.

Veuillez jeter les yeux tout autour de vous ; vous voyez des avocats, des médecins, des notaires, des prêtres et des arpenteurs ; voilà pour ce qu’on appelle les professions libérales ; mais le journalisme, cette autre carrière si vaste qu’elle embrasse pour ainsi dire toutes les autres et qu’elle exige, chez celui qui l’exerce, au moins les éléments de toutes les connaissances humaines, cette carrière qui n’est faite que pour des apôtres et qui a la plus haute des missions à remplir, carrière où l’on ne devrait entrer qu’en tremblant et armé de toutes pièces pour les luttes de la pensée et l’exercice de la langue, qui s’adresse à tous, qui a pour premier objectif l’intelligence de tous les hommes, quels qu’ils soient, qui cherche à satisfaire avant tout le besoin le plus noble, à contenter ce qu’il y a de plus digne en l’homme, l’avidité de connaître, carrière qui, par cela même qu’elle a en vue l’humanité entière, et que chaque homme, fût-ce le dernier de tout un peuple, a droit de lui