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XLI
PAR CONDORCET.

Dans la société, M. de Buffon souffroit sans peine la médiocrité ; ou plutôt, occupé de ses propres idées, il ne l’apercevoit pas, et préféroit en général les gens qui pouvoient le distraire sans le contredire et sans l’assujettir au soin fatigant de prévenir leurs objections ou d’y répondre. Simple dans la vie privée, y prenant sans effort le ton de la bonhomie, quoique aimant par goût la magnificence et tout ce qui avoit quelque appareil de grandeur, il avoit conservé cette politesse noble, ces déférences extérieures pour le rang et les places, qui étoient dans sa jeunesse le ton général des gens du monde ; et dont plus d’amour pour la liberté et l’égalité, au moins dans les manières, nous a peut-être trop corrigés ; car souvent les formes polies dispensent de la fausseté, et le respect extérieur est une barrière que l’on oppose avec succès à une familiarité dangereuse. On auroit pu tirer de ces déférences qui paroissoient exagérées, quelques inductions défavorables au caractère de M. de Buffon, si dans des circonstances plus importantes il n’avoit montré une hauteur d’âme et une noblesse supérieures à l’intérêt comme au ressentiment.

Il avoit épousé en 1752 mademoiselle de Saint-Belin, dont la naissance, les agréments extérieurs et les vertus réparèrent à ses yeux le défaut de fortune. L’âge avoit fait perdre à M. de Buffon une partie des agréments de la jeunesse ; mais il lui restait une taille avantageuse, un air noble, une figure imposante, une physionomie à la fois douce et majestueuse. L’enthousiasme pour le talent fit disparoître aux yeux de madame de Buffon l’inégalité d’âge ; et dans cette époque de la vie où la félicité semble se borner à rem-