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trouvant dans les matières projetées des substances de toute espèce, ont trop accordé de puissance et d’effet aux volcans ; ne voyant dans les terrains volcanisés que confusion et bouleversement, ils ont transporté cette idée sur le globe entier, et ont imaginé que toutes les montagnes s’étaient élevées par la violente action et la force de ces feux intérieurs dont ils ont voulu remplir la terre jusqu’au centre : on a même attribué à un feu central, réellement existant, la température ou chaleur actuelle de l’intérieur du globe. Je crois avoir suffisamment démontré la fausseté de ces idées : quels seraient les aliments d’une telle masse de feu ? pourrait-il subsister, exister sans air ? et sa force expansive n’aurait-elle pas fait éclater le globe en mille pièces ? et ce feu, une fois échappé après cette explosion, pourrait-il redescendre et se trouver encore au centre de la terre ? Son existence n’est donc qu’une supposition qui ne porte que sur des impossibilités, et dont, en l’admettant, il ne résulterait que des effets contraires aux phénomènes connus et constatés. Les volcans ont à la vérité rompu, bouleversé les premières couches de la terre en plusieurs endroits ; ils en ont couvert et brûlé la surface par leurs éjections enflammées ; mais ces terrains volcanisés, tant anciens que nouveaux, ne sont pour ainsi dire que des points sur la surface du globe, et en comptant avec moi dans le passé cent fois plus de volcans qu’il n’y en a d’actuellement agissants, ce n’est encore rien en comparaison de l’étendue de la terre solide et des mers : tâchons donc de n’attribuer à ces feux souterrains que ce qui leur appartient, ne regardons les volcans que comme des instruments, ou si l’on veut comme des causes secondaires, et conservons au feu primitif et à l’eau, comme causes premières, le grand établissement et la disposition primordiale de la masse entière de la terre[NdÉ 1].

Pour achever de se faire des idées fixes et nettes sur ces grands objets, il faut se rappeler ce que nous avons dit au sujet des montagnes primitives, et les distinguer en plusieurs ordres : les plus anciennes, dont les noyaux et les sommets sont de quartz et de jaspe, ainsi que celles des granits et porphyres qui sont presque contemporaines, ont toutes été formées par les boursouflures du globe dans le temps de sa consolidation ; les secondes dans l’ordre de formation sont les montagnes de schiste ou d’argile qui enveloppent souvent les noyaux des montagnes de quartz ou de granits, et qui n’ont été formées que par les premiers dépôts des eaux après la conversion des sables vitreux en argile ; les troisièmes sont les montagnes calcaires, qui généralement surmontent les schistes ou les argiles, et quelquefois les quartz et les granits, et dont l’établissement est, comme l’on voit, encore postérieur à celui des montagnes argileuses[1] : ainsi les petites ou grandes

  1. « Remarquez encore que, dans mon voyage de l’Italie par le Tyrol, j’ai d’abord traversé des montagnes calcaires, ensuite des schisteuses, et enfin de granit ; que ces dernières étaient les plus élevées ; que je suis redescendu de la partie la plus élevée de la province par des montagnes schisteuses et ensuite calcaires : souvenez-vous de plus qu’on observe la même chose en montant les autres chaînes de montagnes considérables de l’Europe, comme cela est incontestable dans les montagnes Carpathiques, celles de la Saxe, du Hartz, de la Silésie, de la Suisse, des Pyrénées, de l’Écosse et de la Laponie, etc., il paraît qu’on peut en tirer la juste conséquence que le granit forme les montagnes les plus élevées, et en même temps les plus profondes et les plus anciennes que l’on connaisse en Europe, puisque toutes les autres montagnes sont appuyées et reposent sur le granit ; que le schiste argileux, qu’il soit pur ou mêlé de quartz et de mica, c’est-à-dire que ce soit du schiste corné ou du grès, a été posé sur le granit ou à côté de lui, et que les montagnes calcaires ou autres couches de pierre ou de terre amenées par les eaux ont encore été placées par-dessus le schiste. » Lettres sur la Minéralogie, par M. Ferber, etc., p. 495 et 496.
  1. Voyez dans l’introduction la critique que j’ai faite des idées de Buffon sur les importantes questions soulevées dans cet article.