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Gévaudan, sur le penchant de la montagne, près de Vebron[1], et d’une autre près de Rouffiac, diocèse de Narbonne, où l’on faisait dans ces derniers temps de jolis ouvrages de cette matière[2]. On a trouvé dans la glaise, en creusant la montagne de Saint-Germain-en-Laye, un morceau de bois fossile, dont M. Fougeroux de Bondaroy a fait une exacte comparaison avec le jayet. « On sait, dit ce savant académicien, que la couleur du jayet est noire, mais que la superficie de ses lames n’a point ce luisant qu’offre l’intérieur du morceau dans sa cassure ; c’est aussi ce qu’il est aisé de reconnaître dans le morceau de bois de Saint-Germain. Dans l’intérieur d’une fente ou d’un morceau rompu, on voit une couleur d’un noir d’ivoire bien plus brillant que sur la surface du morceau. La dureté du jayet et du morceau de bois est à peu près la même : étant polis, ils offrent la même nuance de couleur ; tous deux brûlent et donnent de la flamme sur les charbons ; le jayet répand une odeur bitumineuse ou de pétrole ; certains morceaux du bois en question donnent une pareille odeur, surtout lorsqu’ils ne contiennent point de pyrites. Ce morceau de bois est donc changé en jayet, et il sert à confirmer le sentiment de ceux qui croient le jayet produit par des végétaux[3]. »

On trouve du très beau jayet en Angleterre dans le comté d’York et en plusieurs endroits de l’Écosse : il y en a aussi en Allemagne, et surtout à Wurtemberg. M. Bowles en a trouvé en Espagne près de Peralegos, « dans une montagne où il y a, dit-il, des veines de bois bitumineux, qui ont jusqu’à un pied d’épaisseur… On voit très bien que c’est du bois, parce que l’on en trouve des morceaux avec leur écorce et leurs fibres ligneuses, mêlés avec le véritable jayet dur[4]. »

Il me semble que ces faits suffisent pour qu’on puisse prononcer que le succin et le jayet tirent immédiatement leur origine des végétaux, et qu’ils ne sont composés que d’huiles végétales devenues bitumineuses par le mélange des acides ; que ces bitumes ont d’abord été liquides, et qu’ils se sont durcis par leur simple dessèchement, lorsqu’ils ont perdu les parties aqueuses de l’huile et des acides dont ils sont composés. Le bitume, qu’on appelle asphalte, nous en fournit une nouvelle preuve : il est d’abord fluide, ensuite mou et visqueux, et enfin il devient dur par la seule dessiccation.

L’asphalte des Grecs est le même que le bitume des Latins : on l’a nommé particulièrement bitume de Judée, parce que les eaux de la mer Morte et les terrains qui l’environnent en fournissent une grande quantité ; il a beaucoup de propriétés communes avec le succin et le jayet ; il est de la même nature, et il paraît, ainsi que la poix de montagne, le pétrole et le naphte, ne devoir sa liquidité qu’à une distillation des charbons de terre et des bois bitumineux qui, se trouvant voisins de quelque feu souterrain, laissent échapper les parties huileuses les plus légères, de la même manière à peu près que ces substances bitumineuses donnent leurs huiles dans nos vaisseaux de chimie. Le naphte, le pétrole et le succin paraissent être les huiles les plus pures que fournisse cette espèce de distillation, et le jayet, la poix de montagne et l’asphalte sont les huiles plus grossières. L’Histoire sainte nous apprend que la mer Morte, ou le lac Asphaltique de Judée,

    fentes ; or, si le jayet, qui, dans sa plus grande fluidité, n’est jamais qu’un bitume liquide, et peut-être une espèce de pétrole, s’insinue si bien entre les fibres du bois et les plus petites fentes des autres corps solides, n’en doit-on pas conclure que cette matière, que nous voyons aujourd’hui dure et compacte, a été autrefois très fluide, et que ce n’est pour ainsi dire qu’une espèce d’huile desséchée et durcie par la succession du temps. » Observations d’histoire naturelle, Paris, 1739, p. 215.

  1. Histoire naturelle du Languedoc, t. II, p. 244.
  2. Idem, ibidem, p. 189.
  3. Sur la montagne de Saint-Germain, par M. Fougeroux de Bondaroy. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1769.
  4. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 206 et 207.