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il n’y en a que dans quelques endroits et presque toujours en petits morceaux isolés : parmi ceux que la mer rejette, il y en a de différents degrés de consistance, et même il s’en trouve des morceaux assez mous ; mais aucun observateur ne dit en avoir vu dans l’état d’entière liquidité, et celui que l’on tire de la terre a toujours un assez grand degré de fermeté.

L’on ne connaît guère d’autre minière de succin que celle de Prusse, dont M. Neumann a donné une courte description, par laquelle il paraît que cette matière se trouve à une assez petite profondeur dans une terre dont la première couche est de sable, la seconde d’argile mêlée de petits cailloux de la grosseur d’un pouce, la troisième de terre noire remplie de bois fossiles à demi décomposés et bitumineux, et enfin la quatrième d’un minerai ferrugineux : c’est sous cette espèce de mine de fer que se trouve le succin par morceaux séparés, et quelquefois accumulés en tas.

On voit que les huiles de la couche de bois ont dû être imprégnées de l’acide contenu dans l’argile de la couche supérieure, et qui en descendait par la filtration des eaux ; que ce mélange de l’acide avec l’huile du bois a rendu bitumineuse cette couche végétale ; qu’ensuite les parties les plus ténues et les plus pures de ce bitume sont descendues de même sur la couche du minerai ferrugineux, et qu’en la traversant elles se sont chargées de quelques particules de fer, et qu’enfin c’est du résultat de cette dernière combinaison que s’est formé le succin qui se trouve au-dessous de la mine de fer.

Le jayet diffère du succin en ce qu’il est opaque et ordinairement très noir ; mais il est de même nature[NdÉ 1], quoique ce dernier ait quelquefois la transparence et le beau jaune de la topaze ; car, malgré cette différence si frappante, les propriétés de l’un et de l’autre sont les mêmes ; tous deux sont électriques, ce qui a fait donner au jayet le nom d’ambre noir, comme on a donné au succin celui d’ambre jaune ; tous deux brûlent de même, seulement l’odeur que rend alors le jayet est encore plus forte et sa fumée plus épaisse que celle du succin : quoique solide et assez dur, le jayet est fort léger, et on a souvent pris pour du jayet certains bois fossiles noirs, dont la cassure est lisse et luisante, et qui paraissent en effet ne différer du vrai jayet que parce qu’ils ne répandent aucune odeur bitumineuse en brûlant.

On trouve quelques minières de jayet en France : on en connaît une dans la province de Roussillon, près de Bugarach[1]. M. de Gensane fait mention d’une autre dans le

  1. « J’allai, dit M. Le Monnier, visiter une mine de jayet… Elle ressemble de loin à un tas de charbon de terre appliqué contre un rocher fort élevé, au bas duquel est l’entrée d’une petite caverne dans laquelle on voit plusieurs veines de jayet qui courent dans une terre légère, et même dans les fentes du rocher : cette matière est dure, sèche, légère, fragile et irrégulière dans sa figure, si ce n’est qu’on voit plusieurs cercles concentriques dans ses fragments. On en trouve aussi quelques morceaux, mais moins beaux, sur le tas qui est à l’entrée de la mine, parmi une terre noire bitumineuse : cette terre pourrait être regardée comme une espèce de jayet impur ; car, brûlée sur la pelle, elle répand la même odeur que le plus beau jayet ; l’un et l’autre brûlent difficilement, pétillent un peu en s’échauffant, et la fumée qu’ils répandent est noire, épaisse et d’une odeur de bitume fort désagréable : on travaille assez proprement cette matière à Bugarach ; on en fait des colliers, des chapelets, etc… En donnant quelques coups de pioche sur ce tas pour découvrir quelques morceaux de jayet, j’ai aperçu des morceaux de véritable succin : la couleur en était un peu foncée, mais ils en avaient parfaitement l’odeur et l’électricité. J’ai trouvé de même, en continuant de fouiller, des bois pétrifiés avec des circonstances très favorables pour appuyer la vérité de cette transmutation… Le jayet paraît s’insinuer non seulement dans les bois pétrifiés, mais encore dans les pierres jusque dans les moindres
  1. Le Jayet est une lignite durcie ; il présente très manifestement, dans un grand nombre de cas, les traces de la structure ligneuse.