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Il ne me paraît pas nécessaire de supposer, comme l’ont fait nos chimistes récents, une terre particulière plus pesante que les autres terres pour définir la nature des spaths pesants : ce n’est point expliquer leur essence ni leur formation, c’est les supposer données et toutes faites ; c’est dire simplement et fort inutilement que ces spaths sont plus pesants que les autres spaths, parce que leur terre est plus pesante que les autres terres ; c’est éluder et reculer la question au lieu de la résoudre ; car ne doit-on pas demander pourquoi cette terre est plus pesante, puisque de l’aveu de ces chimistes elle ne contient point de parties métalliques ? Ils seront donc toujours obligés de rechercher avec nous quelles peuvent être les combinaisons des éléments qui rendent ces spaths plus pesants que toutes les autres pierres.

Or, pour se bien conduire dans une recherche de cette espèce, et arriver à un résultat conséquent et plausible, il faut d’abord examiner les propriétés absolues et relatives de cette matière pierreuse plus pesante qu’aucune autre pierre ; il faut tâcher de reconnaître si cette matière est simple ou composée, car, en la supposant mêlée de parties métalliques, sa pesanteur ne serait qu’un effet nécessaire de ce mélange ; mais, de quelque manière qu’on ait traité ces spaths pesants, on n’en a pas tiré un seul atome de métal ; dès lors, leur grande densité ne provient pas de la mixtion d’aucune matière métallique : on a seulement reconnu que les spaths pesants ne sont ni vitreux, ni calcaires, ni gypseux ; et comme, après les matières vitreuses, calcaires et métalliques, il n’existe dans la nature qu’une quatrième matière qui est la terre limoneuse, on peut déjà présumer que la substance de ces spaths pesants est formée de cette dernière terre, puisqu’ils diffèrent trop des autres terres et pierres pour en provenir ni leur appartenir.

Les spaths pesants, quoique fusibles à un feu violent, ne doivent pas être confondus avec le feldspath, non plus qu’avec les spaths auxquels on a donné les dénominations impropres de spaths vitreux ou fusibles, c’est-à-dire avec les spaths fluors qui se trouvent assez souvent dans les mines métalliques : les spaths pesants et les fluors n’étincellent pas sous le briquet comme le feldspath ; mais ils diffèrent entre eux tant par la dureté que la densité. La pesanteur spécifique de ces spaths fluors n’est que de 30 à 31 mille, tandis que celle des spaths pesants est de 44 à 45 mille.

La substance des spaths pesants est une terre alcaline, et comme elle n’est pas calcaire, elle ne peut être que limoneuse et bolaire ; de plus, cette substance pesante a autant et peut-être plus d’affinité que l’alcali même avec l’acide vitriolique, car les seules matières inflammables ont plus d’affinité que cette terre avec cet acide.

On trouve assez souvent ces spaths pesants sous une forme cristallisée : on reconnaît alors aisément que leur texture est lamelleuse ; mais ils se présentent aussi en cristallisation confuse et même en masses informes[1] ; ils ne font point partie des roches vitreuses et calcaires, ils n’en tirent pas leur origine ; on les trouve toujours à la superficie de la terre végétale, ou à une assez petite profondeur, souvent en petits morceaux isolés, et quelquefois en petites veines comme les pyrites.

En faisant calciner ces spaths pesants, on n’obtient ni de la chaux ni du plâtre, ils

  1. Il y a beaucoup de spaths pesants cristallisés et d’autres qui ne le sont pas, et la variété qui se trouve dans la forme de leur cristallisation est très grande.

    Le spath pesant se trouve aussi sous toutes sortes de formes :

    1o En arbrisseaux ou végétations formées de lames cristallines opaques et blanchâtres, implantées confusément les unes sur les autres ;

    2o En masses protubérancées ou mamelonnées, blanchâtres ou jaunâtres ;

    3o On en voit aussi sous la forme de stalagmites ou dépôts ondulés, susceptibles d’un poli plus ou moins vif ;

    4o En stalactites cylindriques rayonnées du centre à la circonférence. Cristallographie de M. Romé de Lisle, t. Ier, p. 612 et suiv.

    [Note de Wikisource : Le spath pesant, aujourd’hui appelé barytine, présente en effet de nombreuses variétés, selon que le baryum qu’il contient est remplacé partiellement par du plomb, du strontium, du radium, etc. Plus loin, Buffon se trompe donc en niant la présence d’une nouvelle « terre » dans le spath pesant, pourtant déjà isolée, sous forme d’oxyde de baryum, par Schéele, en 1774.]