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Les matières bitumineuses sont ou solides comme le succin et le jayet, ou liquides comme le pétrole et le naphte, ou visqueuses, c’est-à-dire d’une consistance moyenne entre le solide et le liquide, comme l’asphalte et la poix de montagne : les autres substances plus dures, telles que les schistes bitumineux, les charbons de terre, ne sont que des terres végétales ou limoneuses plus ou moins imprégnées de bitume.

Le naphte est le bitume liquide le plus coulant, le plus léger, le plus transparent et le plus inflammable. Le pétrole, quoique liquide et coulant, est ordinairement coloré et moins limpide que le naphte : ces deux bitumes ne se durcissent ni ne se coagulent à l’air ; ce sont les huiles les plus ténues et les plus volatiles du bitume. L’asphalte, que l’on recueille sur l’eau ou dans le sein de la terre, est gras et visqueux dans ce premier état ; mais bientôt il prend à l’air un certain degré de consistance et de solidité : il en est de même de la poix de montagne, qui ne diffère de l’asphalte qu’en ce qu’elle est plus noire et moins tenace.

Le succin, qu’on appelle aussi karabé et plus communément ambre jaune, a d’abord été liquide et a pris sa consistance à l’air, et même à la surface des eaux et dans le sein de la terre[NdÉ 1] : le plus beau succin est transparent et de couleur d’or ; mais il y en a de plus ou moins opaque, et de toutes les nuances de couleur du blanc au jaune et jusqu’au brun noirâtre ; il renferme souvent de petits débris de végétaux et des insectes terrestres, dont la forme est parfaitement conservée[1] ; il est électrique comme la résine végétale, et par l’analyse chimique on reconnaît qu’il ne contient d’autres matières solides qu’une petite quantité de fer, et qu’il est presque uniquement composé d’huile et d’acide[2]. Et, comme l’on sait d’ailleurs qu’aucune substance purement minérale ne contient d’huile, on ne peut guère douter que le succin ne soit un pur résidu des huiles animales ou végétales saisies et pénétrées par les acides, et c’est peut-être à la petite quantité de fer contenue dans ces huiles qu’il doit sa consistance et ses couleurs plus ou moins jaunes ou brunes.

Le succin se trouve plus fréquemment dans la mer que dans le sein de la terre[3], où

  1. On ignore encore l’origine véritable de l’ambre jaune. [Note de Wikisource : L’ambre jaune est issu de la fossilisation de résine de conifères.]
  1. M. Keysler dit qu’on ne voit dans le succin que des empreintes de végétaux et d’animaux terrestres, et jamais de poissons. Bibliothèque raisonnée, 1742. Voyage de Keysler… Cependant d’autres auteurs assurent qu’il s’y trouve quelquefois des poissons et des œufs de poissons (Collection académique, partie étrangère, tome IV, p. 208). On m’a présenté, cette année 1778, un morceau d’environ deux pouces de diamètre, dans l’intérieur duquel il y avait un petit poisson d’environ un pouce de longueur ; mais, comme la tranche de ce morceau de succin était un peu entamée, il m’a paru que c’était de l’ambre ramolli, dans lequel on a eu l’art de renfermer le petit poisson sans le déformer.
  2. De deux livres de succin entièrement brûlé, M. Bourdelin n’a obtenu que dix-huit grains d’une terre brune, sans saveur, saline, et contenant un peu de fer. Voyez les Mémoires de l’Académie royale des sciences.
  3. On trouve du jayet et de l’ambre jaune dans une montagne près de Bugarach en Languedoc, à douze ou treize lieues de la mer, et cette montagne en est séparée par plusieurs autres montagnes. On trouve aussi du succin dans les fentes de quelques rochers en Provence (Mémoires de l’Académie des sciences, années 1700 et 1703). Il s’en trouve en Sicile, le long des côtes d’Agrigente, de Catane ; à Bologne, vers la marche d’Ancône ; et dons l’Ombrie, à d’assez grandes distances de la mer. Il en est de même de celui que M. le marquis de Bonnac a vu tirer dans un endroit du territoire de Dantzig, séparé de la mer par de grandes hauteurs. M. Guettard, de l’Académie des sciences, conserve dans son cabinet un morceau de succin qui a été trouvé dans le sein de la terre en Pologne, à plus de cent lieues de distance de la mer Baltique, et un autre morceau trouvé à Newburg, à vingt lieues de distance de Dantzig : il y en a dans des lieux encore plus éloignés de la mer, en Podolie, en Volhinie ; le lac Lubien de Posnanie en rejette souvent, etc. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1762, p. 251 et suiv.