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par le frottement, au lieu que les pierres à fusil, qui n’ont point été roulées, conservent leur forme primitive sans altération, tant qu’elles demeurent enfouies dans le lieu de leur formation.

Mais, lorsque les pierres à fusil sont longtemps exposées à l’air, leur surface commence à blanchir, et ensuite elle se ramollit, se décompose par l’action de l’acide aérien, et se réduit enfin en terre argileuse ; et l’on ne doit pas confondre cette écorce blanchâtre des pierres à fusil, produite par l’impression de l’air, avec la couche de craie dont elles sont enveloppées au sortir de la terre : ce sont, comme l’on voit, deux matières très différentes ; car la pierre à fusil ne commence à se décomposer par l’action des éléments humides que quand l’eau des pluies a lavé sa surface et emporté cette couche de craie dont elle était enduite.

Les cailloux les plus durs se décomposent à l’air comme les pierres à fusil ; leur surface, après avoir blanchi, tombe en poussière avec le temps, et découvre une seconde couche sur laquelle l’acide aérien agit comme sur la première, en sorte que peu à peu toute la substance du caillou se ramollit et se convertit en terre argileuse : le même changement s’opère dans toutes les matières vitreuses ; car le quartz, le grès, les jaspes, les granits, les laves des volcans et nos verres factices se convertissent, comme les cailloux, en terre argileuse par la longue impression des éléments humides dont l’acide aérien est le principal agent. On peut observer les degrés de cette décomposition en comparant des cailloux de même sorte et pris dans le même lieu ; on verra que, dans les uns, la couche de la surface décomposée n’a qu’un quart ou un tiers de ligne d’épaisseur ; et que, dans d’autres, la décomposition pénètre à deux ou trois lignes : cela dépend du temps plus ou moins long pendant lequel le caillou a été exposé à l’action de l’air, et ce temps n’est pas fort reculé, car en moins de deux ou trois siècles cette décomposition peut s’opérer ; nous en avons l’exemple dans les laves des volcans qui se convertissent en terre encore plus promptement que les cailloux et les pierres à fusil. Et ce qui prouve que l’air agit autant et plus que l’eau dans cette décomposition des matières vitreuses, c’est que, dans tous les cailloux isolés et jonchés sur la terre, la partie exposée à l’air est la seule qui se décompose, tandis que celle qui touche à la terre, sans même y adhérer, conserve sa dureté, sa couleur et même son poli ; ce n’est donc que par l’action presque immédiate de l’acide aérien que les matières vitreuses se décomposent et prennent la forme des terres ; autre preuve que cet acide est le seul et le premier qui, dès le commencement, ait agi sur la matière du globe vitrifié : l’eau dissout les matières vitreuses sans les décomposer, puisque les cristaux de roche, les agates et autres stalactites quartzeuses conservent la dureté et toutes les propriétés des matières qui les produisent, au lieu que l’humidité, animée par l’acide aérien, leur enlève la plupart de ces propriétés et change ces verres de nature solide et secs en une terre molle et ductile.


PIERRE MEULIÈRE

Les pierres que les anciens employaient pour moudre les grains étaient d’une nature toute différente de celle de la pierre meulière dont il est ici question. Aristote, qui embrassait par son génie les grands et les petits objets, avait reconnu que les pierres molaires dont on se servait en Grèce étaient d’une matière fondue par le feu, et qu’elles différaient de toutes les autres pierres produites par l’intermède de l’eau. Ces pierres molaires étaient en effet des basaltes et autres laves solides de volcans, dont on choisissait les masses qui offraient le plus grand nombre de trous ou petites cavités, et qui avaient en même temps