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LAPIS-LAZULI

Les naturalistes récents ont mis le lapis-lazuli au nombre des zéolites, quoiqu’il en diffère beaucoup plus qu’il ne leur ressemble ; mais lorsqu’on se persuade, d’après le triste et stérile travail des nomenclateurs, que l’histoire naturelle consiste à faire des classes et des genres, on ne se contente pas de mettre ensemble les choses de même genre, et l’on y réunit souvent très mal à propos d’autres choses qui n’ont que quelques petits rapports, et souvent des caractères essentiels très différents et même opposés à ceux du genre sous lequel on veut les comprendre. Quelques chimistes ont défini le lapis : zéolithe bleue mêlée d’argent[1], tandis que cette pierre n’est point une zéolithe, et qu’il est très douteux qu’on puisse en tirer de l’argent ; d’autres ont assuré qu’on en tirait de l’or, ce qui est tout aussi douteux, etc.

Le lapis ne se boursoufle pas comme la zéolithe lorsqu’il entre en fusion, sa substance et sa texture sont toutes différentes : le lapis n’est point disposé, comme la zéolithe, par rayons du centre à la circonférence ; il présente un grain serré aussi fin que celui du jaspe, et on le regarderait avec raison comme un jaspe s’il en avait la dureté et s’il prenait un aussi beau poli : néanmoins il est plus dur que la zéolithe ; il n’est mêlé ni d’or ni d’argent, mais de parties pyriteuses qui se présentent comme des points, des taches ou des veines de couleur d’or ; le fond de la pierre est d’un beau bleu, souvent taché de blanc ; quelquefois cette couleur bleue tire sur le violet. Les taches blanches sont des parties calcaires et offrent quelquefois la texture et le luisant du gypse ; ces parties blanches, choquées contre l’acier, ne donnent point d’étincelles, tandis que le reste de la pierre fait feu comme le jaspe : le seul rapport que cette pierre lapis ait avec la zéolithe est qu’elles sont toutes deux composées de parties vitreuses et de parties calcaires ; car en plongeant le lapis dans les acides, on voit que quelques-unes de ses parties y font effervescence comme les zéolithes.

L’opinion des naturalistes modernes était que le bleu du lapis provenait du cuivre ; mais le célèbre chimiste Margraff[2] ayant choisi les parties bleues, et en ayant séparé les blanches et les pyriteuses couleur d’or, a reconnu que les parties bleues ne contenaient pas un atome de cuivre, et que c’était au fer qu’on devait attribuer leur couleur ; il a en même temps observé que les taches blanches sont de la même nature que les pierres gypseuses.

Le lapis étant composé de parties bleues qui sont vitreuses, et de parties blanches qui sont gypseuses, c’est-à-dire calcaires imprégnées d’acide vitriolique, il se fond sans addition à un feu violent : le verre qui en résulte est blanchâtre ou jaunâtre, et l’on y voit encore, après la vitrification de la masse entière, quelques parties de la matière bleue qui ne sont pas vitrifiées ; et ces parties bleues, séparées des blanches, n’entrent point en fusion sans fondant ; elles ne perdent pas même leur couleur au feu ordinaire de calcination, et c’est ce qui distingue le vrai lapis de la pierre arménienne et de la pierre d’azur dont le bleu s’évanouit au feu, tandis qu’il demeure inhérent et fixe dans le lapis-lazuli.

Le lapis résiste aussi à l’impression des éléments humides et ne se décolore point à l’air ; on en fait des cachets dont la gravure est très durable : lorsqu’on lui fait subir l’action d’un feu même assez violent, sa couleur bleue, au lieu de diminuer ou de s’évanouir, paraît au contraire acquérir plus d’éclat.

  1. Essai de minéralogie, par Wiedman. Paris, 1771, p. 157 et suiv.
  2. Margraff, t. II, p. 305.