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du Roi, dont le premier paraît être un saumon d’environ deux pieds et demi de longueur, et le second, une truite de quinze à seize pouces, très bien conservés ; les écailles, les arêtes et toutes les parties solides de leur corps sont pleinement pétrifiées en matière calcaire ; mais c’est surtout dans les schistes, et particulièrement dans les ardoises que l’on trouve des poissons bien conservés, ils y sont plutôt minéralisés que pétrifiés, et en général ces poissons, dont la nature a conservé les corps, sont plus souvent dans un état de dessèchement que de pétrification.

Ces espèces de reliques d’animaux de la terre sont bien plus rares que celles des habitants de la mer, et il n’y a d’ailleurs que les parties solides de leur corps, telles que les os et les cornes, ou plutôt les bois de cerf, de renne, etc., qui se trouvent quelquefois dans

    même que sur une montagne de la Chine, près d’une petite ville nommée Yenhiang-hien, du territoire de Foug-siang-fou.

    De tous les poissons dont j’ai parlé, il n’y en a point qu’on ne puisse regarder comme absolument pétrifiés, excepté ceux qu’on trouve dans les ardoises noires de Glaris et dans les ardoises métalliques des mines d’Allemagne. La raison de cela est que les molécules qui ont formé cette sorte d’ardoise se sont si bien insinuées dans la substance des poissons qu’elle en a été absorbée ; de sorte, néanmoins, qu’ayant parfaitement bien retenu la forme des poissons, on peut les appeler, si l’on veut, poissons pétrifiés ou métallifiés.

    Il n’en est pas de même des poissons qui sont renfermés entre des plaques de pierre grisâtre : ceux-ci ont été simplement séchés, embaumés et durcis, à peu près comme s’ils avaient été métamorphosés en une espèce de corne fort dure, telle que l’est la substance des plantes marines qu’on nomme cornées ou cornueuses.

    La substance des poissons qui ont subi ce changement, jointe à leur couleur, les fait très bien distinguer de la substance de la pierre qui les renferme : la plupart sont d’une couleur rougeâtre, d’autres sont d’un jaune luisant, d’autres sont d’un brun plus ou moins foncé, d’autres enfin sont noirs, mais cette noirceur vient d’un suc bitumineux qui forme, dans plusieurs pierres, des figures de petits arbrisseaux qu’on appelle dendrites. Et quant aux poissons qui sont renfermés entre des plaques d’ardoises métalliques, il y en a qui sont simplement de la couleur de l’ardoise, au lieu que d’autres ont des écailles qui reluisent comme si elles étaient d’or, d’argent ou de quelque autre métal, ainsi qu’il est arrivé aux cornes d’Ammon, dont on a parlé dans la troisième partie de ce recueil.

    Tous ces poissons ont subi, autant que les circonstances l’ont pu permettre, plusieurs dérangements accidentels, pareils à ceux des crustacés et des testacés qui ont été renfermés dans des bancs de rochers et dans des couches de terre.

    En général, tous ces poissons ont eu la tête écrasée, plusieurs l’ont perdue ; d’autres ont perdu la queue : les nageoires et les ailerons ont été transposés dans quelques-uns ; d’autres ont été courbés en arc : on en trouve plusieurs dont une partie du corps a été séparée de l’autre, il y en a dont il ne reste que le squelette ; d’autres n’ont laissé que des fragments : l’on rencontre souvent des plaques qui renferment plus d’un poisson diversement situé, et quelquefois c’est un amas bizarre d’arêtes et d’autres fragments de différents poissons que l’on y trouve.

    Ces irrégularités ne peuvent être attribuées qu’aux mouvements de l’eau qui enveloppe ces poissons, à la rencontre des divers corps qui nageaient ensemble, et aux divers efforts réciproques des couches à mesure qu’elles se condensaient, etc.

    Ajoutez à cela que les poissons dont nous parlons sont d’autant mieux marqués qu’ils sont plus gros ; qu’il y en a dont les vertèbres sont comme cristallisées, et d’autres dans la place de la moelle desquels on trouve de petites cristallisations, et que, nonobstant toutes ces variations, l’on ne peut douter que ce n’aient été de vrais poissons de mer et de rivière, parce que plusieurs savants en ont reconnu diverses espèces, comme des brochets, des perches, des truites, des harengs, des sardines, des anchois, des ferrats, des turbots, des têtus, des dorades qu’on appelle rougets en Languedoc, des anguilles, des saluz ou silurus, des guaperva du Brésil, des crocodiles. J’ai vu un poisson volant dans une pierre de bolca, dans le cabinet de M. Zannichelli à Venise. Traité des Pétrifications, in-4o ; Paris, 1742, p. 116 et suiv.