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qui distingue la pétrification, tant de l’incrustation qui n’est qu’un revêtement, que de la concrétion qui n’est qu’une agrégation de parties plus ou moins fines ou grossières. Les matières calcaires et métalliques forment, au contraire, beaucoup plus de concrétions et d’incrustations que de pétrifications ou minéralisations, parce que l’eau les détache en moins de temps, et les transporte en plus grosses parties que celles de la matière vitreuse qu’elle ne peut attaquer et dissoudre que par une action lente et constante, attendu que cette matière, par sa dureté, lui résiste plus que les substances calcaires ou métalliques.

Il y a peu d’eaux qui soient absolument pures ; la plupart sont chargées d’une certaine quantité de parties calcaires, gypseuses, vitreuses ou métalliques ; et, quand ces particules ne sont encore que réduites en poudre palpable, elles tombent en sédiment au fond de l’eau, et ne peuvent former que des concrétions ou des incrustations grossières ; elles ne pénètrent les autres corps qu’autant qu’elles sont assez atténuées pour être reçues dans leurs pores, et, en cet état d’atténuation, elles n’altèrent ni la limpidité, ni même la légèreté de l’eau qui les contient et qui ne leur sert que de véhicule : néanmoins, ce sont souvent ces eaux si pures en apparence dans lesquelles se forment en moins de temps les pétrifications les plus solides ; on a exemple de crabes et d’autres corps pétrifiés en moins de quelques mois dans certaines eaux, et particulièrement en Sicile, près des côtes de Messine ; on cite aussi les bois convertis en cailloux dans certaines rivières, et je suis persuadé qu’on pourrait par notre art imiter la nature et pétrifier les corps avec de l’eau convenablement chargée de matière pierreuse ; et cet art, s’il était porté à sa perfection, serait plus précieux pour la postérité que l’art des embaumements.

Mais c’est plutôt dans le sein de la terre que dans la mer, et surtout dans les couches de matière calcaire, que s’opère la pétrification de ces crabes et autres crustacés[1], dont quelques-uns, et notamment les oursins, se trouvent souvent pétrifiés en cailloux, ou plutôt en pierres à fusil placées entre les bancs de pierre tendre et de craie[2]. On trouve aussi des poissons pétrifiés dans les matières calcaires[3] : nous en avons deux au Cabinet

  1. Les crabes pétrifiés de la côte de Coromandel sont les mêmes que ceux de France, d’Italie et d’Amérique. Il y a des crabes dans le territoire de Vérone, et quelques-uns sont remplis de mine de fer ; ceux de Coromandel contiennent aussi une terre ferrugineuse. Tous ces crabes pétrifiés sont ordinairement mutilés, il leur manque souvent des pattes ou des antennes, ce qui prouve qu’ils ont été violentés par le frottement ou l’éboulement des terres avant d’être pétrifiés. Traité des Pétrifications, in-4o ; Paris, 1742, p. 416 et suiv.
  2. On trouve sur les rivages de la mer de Lubeck plusieurs hérissons de mer changés en cailloux ou pierre à fusil, que les vagues y amènent en les enlevant des couches de pierre à chaux qui bordent ces mers-là, ainsi que celles d’Angleterre et de France, vers le Pas-de-Calais. Traité des Pétrifications, in-4o ; Paris, 1742, p. 116 et suiv.
  3. L’on trouve des poissons pétrifiés en Italie, dans des pierres blanchâtres de bolca, dans le Véronais ; on en trouve en Suisse, entre des pierres semblables ; à Veningen, près du lac de Constance et dans les ardoises noires d’une montagne du canton de Glaris.

    L’Allemagne fournit aussi quantité de poissons dans une espèce de marbre ou de pierre à chaux grisâtre, à Rupin, à Anspach, à Pappenheim, à Eichstœd, à Eystetten, et dans les ardoises métalliques d’Eisleben, d’Isenach, d’Osterode, de Franckenberg, d’Ilmenau et d’ailleurs.

    On trouve encore des poissons dans des plaques d’ardoise blanchâtres de Wasch en Bohême.

    Le squelette presque entier d’un crocodile (voyez Bibliothèque anglaise, t. VI, p. 406 et suiv.) et le squelette d’un poisson du Cabinet de M. le chevalier Sloane,… trouvés dans la province de Northingham, et qu’on croit venir des carrières de Fulbeck, prouvent suffisamment que l’Angleterre n’est pas destituée de semblables curiosités.

    Tous ceux qui aiment à lire les livres de voyages n’ignorent pas que l’on trouve des poissons dans des pierres grisâtres sur une montagne de Syris, à quelques lieues de Tripoli, de