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subséquents : ce sont les parties les plus solides, les plus dures, et particulièrement les dents des animaux qui se sont conservées intactes ou peu altérées dans le sein de la terre.

Les dents de requin que l’on connaît sous le nom de glossopètres, celles d’hippopotame, les défenses d’éléphant et autres ossements fossiles sont rarement pétrifiés ; leur état est plutôt celui d’une décomposition plus ou moins avancée : l’ivoire de l’éléphant, du morse, de l’hippopotame, du narval, et tous les os dont en général le fond de la substance est une terre calcaire, reprennent d’abord leur première nature et se convertissent en une sorte de craie ; ce n’est qu’avec le temps et souvent par des circonstances locales et particulières qu’ils se pétrissent et reçoivent plus de dureté qu’ils n’en avaient naturellement. Les turquoises sont le plus bel exemple que nous puissions donner de ces pétrifications osseuses, qui néanmoins sont incomplètes ; car la substance de l’os n’y est pas entièrement détruite et pleinement remplacée par le suc vitreux ou calcaire.

Aussi trouve-t-on les turquoises, ainsi que les autres os et les dents fossiles des animaux, dans les premières couches de la terre à une petite profondeur, tandis que les coquilles pétrifiées font souvent partie des derniers bancs au-dessous de nos collines, et que ce n’est de même qu’à de grandes profondeurs que l’on voit, dans les schistes et les ardoises, des empreintes de poissons, de crustacés et de végétaux qui semblent nous indiquer que leur existence a précédé, même de fort loin, celle des animaux terrestres : néanmoins leurs ossements conservés dans le sein de la terre, quoique beaucoup moins anciens que les pétrifications des coquilles et des poissons, ne laissent pas de nous présenter des espèces d’animaux quadrupèdes qui ne subsistent plus ; il ne faut pour s’en convaincre que comparer les énormes dents à pointes mousses avec celles de nos plus grands animaux actuellement existants ; on sera bientôt forcé d’avouer que l’animal d’une grandeur prodigieuse, auquel ces dents appartenaient, était d’une espèce colossale, bien au-dessus de celle de l’éléphant ; que de même les très grosses dents carrées que j’ai cru pouvoir comparer à celles de l’hippopotame sont encore des débris de corps démesurément gigantesques dont nous n’avons ni le modèle exact, ni n’aurions pas même l’idée, sans ces témoins aussi authentiques qu’irréprochables : ils nous démontrent non seulement l’existence passée d’espèces colossales, différentes de toutes les espèces actuellement subsistantes, mais encore la grandeur gigantesque des premiers pères de nos espèces actuelles ; les défenses d’éléphant de huit à dix pieds de longueur, et les grosses dents d’hippopotame prouvent assez que ces espèces majeures étaient anciennement trois ou quatre fois plus grandes, et que probablement leur force et leurs autres facultés étaient en proportion de leur volume.

Il en est des poissons et coquillages comme des animaux terrestres ; leurs débris nous démontrent l’excès de leur grandeur ; existe-t-il en effet aucune espèce comparable à ces grandes volutes pétrifiées dont le diamètre est de plusieurs pieds et le poids de plusieurs centaines de livres ?

Ces coquillages d’une grandeur démesurée n’existent plus que dans le sein de la terre, et encore n’y existent-ils qu’en représentation ; la substance de l’animal a été détruite, et la forme de la coquille s’est conservée au moyen de la pétrification. Ces exemples suffisent pour nous donner une idée des forces de la jeune nature : animée d’un feu plus vif que celui de notre température actuelle, ses productions avaient plus de vie, leur développement était plus rapide et leur extension plus grande ; mais, à mesure que la terre s’est refroidie, la nature vivante s’est raccourcie dans ses dimensions ; et non seulement les individus des espèces subsistantes se sont rapetissés, mais les premières espèces que la chaleur avait produites, ne pouvant plus se maintenir, ont péri pour jamais. Et combien n’en périra-t-il pas d’autres dans la succession des temps, à mesure que ces trésors de feu diminueront par la déperdition de cette chaleur du globe qui sert de base à