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PÉTRIFICATIONS ET FOSSILES


Tous les corps organisés, surtout ceux qui sont solides, tels que les bois et les os, peuvent se pétrifier en recevant dans leurs pores les sucs calcaires ou vitreux : souvent même, à mesure que la substance animale ou végétale se détruit, la matière pierreuse en prend la place ; en sorte que, sans changer de forme, ces bois et ces os se trouvent convertis en pierre calcaire, en marbres, en cailloux, en agates, etc. L’on reconnaît évidemment dans la plupart de ces pétrifications tous les traits de leur ancienne organisation, quoiqu’elles ne conservent aucune partie de leur première substance ; la matière en a été détruite et remplacée successivement par le suc pétrifiant auquel leur texture, tant intérieure qu’extérieure, a servi de moule, en sorte que la forme domine ici sur la matière au point d’exister après elle. Cette opération de la nature est le grand moyen dont elle s’est servie, et dont elle se sert encore pour conserver à jamais les empreintes des êtres périssables. C’est en effet par ces pétrifications que nous reconnaissons ses plus anciennes productions et que nous avons une idée de ces espèces maintenant anéanties, dont l’existence a précédé celle de tous les êtres actuellement vivants ou végétants ; ce sont les seuls monuments des premiers âges du monde : leur forme est une inscription authentique qu’il est aisé de lire en la comparant avec les formes des corps organisés du même genre ; et, comme on ne leur trouve point d’individus analogues dans la nature vivante, on est forcé de rapporter l’existence de ces espèces actuellement perdues aux temps où la chaleur du globe était plus grande, et sans doute nécessaire à la vie et à la propagation de ces animaux et végétaux qui ne subsistent plus[NdÉ 1].

C’est surtout dans les coquillages et les poissons, premiers habitants du globe, que l’on peut compter un plus grand nombre d’espèces qui ne subsistent plus. Nous n’entreprendrons pas d’en donner ici l’énumération qui, quoique longue, serait encore incomplète : ce travail sur la vieille nature exigerait seul plus de temps qu’il ne m’en reste à vivre, et je ne puis que la recommander à la postérité ; elle doit rechercher ces anciens titres de noblesse de la nature avec d’autant plus de soin qu’on sera plus éloigné du temps de son origine.

En les rassemblant et les comparant attentivement, on la verra plus grande et plus forte dans son printemps qu’elle ne l’a été dans les âges subséquents : en suivant ses dégradations, on reconnaîtra les pertes qu’elle a faites, et l’on pourra déterminer encore quelques époques dans la succession des existences qui nous ont précédés. Les pétrifications sont les monuments les mieux conservés, quoique les plus anciens de ces premiers âges ; ceux que l’on connaît sous le nom de fossiles appartiennent à des temps

  1. Buffon montre ici l’importance considérable qu’il attachait à l’influence du milieu sur les caractères des organismes vivants. Ce chapitre est l’un des plus remarquable de ses œuvres. Il est comme la préface des travaux paléontologiques de notre siècle. (Voyez notre Introduction.)