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Depuis la mer de Bonifacio jusqu’au golfe de Valimo, il y a plusieurs rochers riches en corail et assez peu éloignés de terre, mais aussi de peu d’étendue ; le plus considérable est celui appelé la Secca di Tizzano (écueil de Tizzano, éloigné de terre d’environ trois lieues) : d’après ce que les pêcheurs en disent, il en a environ huit de circonférence. Ce rocher est fort riche en corail dont la plus grande partie se trouve de la dernière qualité : on est d’avis que cela provient de la trop grande étendue du rocher qui fait qu’il s’écoule plusieurs années avant que l’on rencontre le même endroit où l’on a péché les années précédentes, en sorte que le corail qui est fort vieux se gâte et devient, pour la plus grande partie, terraglio, et qu’il en reste peu de la première qualité. Il y a aussi un autre rocher qui est appelé la Secca grande, qui se trouve entre la Senara, petite île entre la Sardaigne et la Corse : on prétend qu’il a onze lieues de circonférence, et qu’il est beaucoup plus riche en corail que celui de Tizzano, mais il est moins fréquenté, attendu son grand éloignement de l’île. Son corail est aussi beaucoup inférieur à celui du premier rocher : des milliers de pêcheurs pourraient faire leur pêche sur ces deux grands rochers sous-marins, et il s’écoulerait bien des siècles avant de n’y plus trouver de corail.

» Les avantages que lesdits pêcheurs procuraient, avant l’interdiction de la pêche, à la ville de Bonifacio et à toute l’île étaient d’une très grande considération ; car, quoiqu’ils vivent misérablement, ils s’y pourvoient de toutes les denrées nécessaires ; chacun en profite, et le plus grand avantage est pour le domaine royal, attendu les droits qu’on en retire pour l’importation des denrées de l’étranger.

» Comme on fait toujours une pêche médiocre en Sardaigne, quoique les pêcheurs y trouvent les denrées à très bon marché, si on venait à ouvrir la pêche en Corse, et que le droit domanial, au moins pour les premières années, ne fût point augmenté, ils y viendraient tous, ce qui formerait un objet de trois cents pêcheurs environ ; et par ce commerce on verrait s’enrichir une grande partie de l’île, d’autant qu’à présent les denrées y sont en si grande abondance, que le gouvernement a été obligé de permettre l’exportation des grains : alors tout resterait dans l’île, et lui procurerait les plus grands avantages. »

Le corail est aussi fort abondant dans certains endroits autour de la Sicile. M. Bridone décrit la manière dont on le pêche dans les termes suivants : « La pêche du corail, dit-il, se fait surtout à Trapani : on y a inventé une machine qui est très propre à cet objet ; ce n’est qu’une grande croix de bois au centre de laquelle on attache une pierre dure et très pesante, capable de la faire descendre et maintenir au fond ; on place des morceaux de petit filet à chaque membre de la croix qu’on tient horizontalement en équilibre au moyen d’une corde, et qu’on laisse tomber dans l’eau ; dès que les pêcheurs sentent qu’elle touche le fond, ils lient la corde aux bateaux, ils rament ensuite sur les couches de corail ; la grosse pierre détache le corail des rochers, et il tombe sur-le-champ dans les filets. Depuis cette invention, la pêche du corail est devenue une branche importante de commerce pour l’île de Sicile[1]. »


  1. Voyage en Sicile, par M. Bridone, t. II, p. 264 et 265.