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marbré de noir et de blanc, et de saphir foncé ; ce sont là évidemment, dit M. Hill, les points noirs et bleuâtres qui forment la couleur des turquoises ; mais Théophraste ne dit pas qu’il faut chauffer cet ivoire fossile pour que cette couleur noire et bleue se répande, et d’ailleurs il ne fait aucune mention des vraies turquoises, qui ne doivent leurs belles couleurs qu’à la nature.

On peut croire que le cuivre en dissolution, se mêlant au suc pétrifiant, donne aux os une couleur verte, et si l’alcali s’y trouve combiné comme il l’est en effet dans la terre calcaire, le vert deviendra bleu ; mais le fer dissous par l’acide vitriolique peut aussi donner ces mêmes couleurs. M. Mortimer, à l’occasion du Commentaire de M. Hill sur Théophraste, dit « qu’il ne nie pas que quelques morceaux d’os ou d’ivoire fossile, comme les appelait il y a deux mille ans Théophraste, ne puissent répondre aux caractères qu’on assigne aux turquoises de la nouvelle roche ; mais il croit que celles de la vieille sont de véritables pierres, ou des mines de cuivre dont la pureté surpasse celle des autres, et qui, plus constantes dans leur couleur, résistent à un feu qui réduirait les os en chaux. C’est ce que prouve encore, selon lui, une grande turquoise de douze pouces de long, de cinq de large et de deux d’épaisseur, qui a été montrée à la Société royale de Londres : l’un des côtés paraît raboteux et inégal, comme s’il avait été détaché d’un rocher ; l’autre est parsemé d’élevures et de tubercules, qui, de même que celles de l’hématite botrioïde, donnent à cette pierre la forme d’une grappe, et prouvent que le feu en a fondu la substance[1]. » Je crois, avec M. Mortimer, que le fer a pu colorer les turquoises, mais le métal ne fait pas le fond de leur substance, comme celles des hématites ; et les turquoises de la vieille et de la nouvelle roche, les turquoises colorées par la nature ou par notre art ou par le feu des volcans, sont également plus ou moins imprégnées et pénétrées d’une teinture métallique. Et comme, dans les substances osseuses il s’en trouve de différentes textures et d’une plus ou moins grande dureté, que, par exemple, l’ivoire des défenses de l’éléphant, du morse, de l’hippopotame, et même du narval, sont beaucoup plus dures que les autres os, il doit se trouver, et il se trouve en effet, des turquoises beaucoup plus dures les unes que les autres. Le degré de pétrification qu’auront reçu ces os doit aussi contribuer à leur plus ou moins grande dureté ; la teinture colorante sera même d’autant plus fixe dans ces os, qu’ils seront plus massifs et moins poreux : aussi les plus belles turquoises sont celles qui par dureté reçoivent un poli vif, et dont la couleur ne s’altère ni ne change avec le temps.

Les turquoises artificielles, c’est-à-dire celles auxquelles on donne la couleur par le moyen du feu, sont sujettes à perdre leur beau bleu ; elles deviennent vertes à mesure que l’alcali s’exhale, et quelquefois même elles perdent encore cette couleur verte, et deviennent blanches ou jaunâtres, comme elles l’étaient avant d’avoir été chauffées.

Au reste, on doit présumer qu’il peut se former des turquoises dans tous les lieux où des os plus ou moins pétrifiés auront reçu la teinture métallique du fer ou du cuivre. Nous avons au Cabinet du Roi une main bien conservée, et qui paraît être celle d’une femme, dont les os sont convertis en turquoise : cette main a été trouvée à Clamecy en Nivernais, et n’a point subi l’action du feu ; elle est même recouverte de la peau, à l’exception de la dernière phalange des doigts, des deux phalanges du pouce, des cinq os du métacarpe et de l’os unciforme qui sont découverts ; toutes ces parties osseuses sont d’une couleur bleue mêlée d’un vert plus ou moins foncé.


  1. Transactions philosophiques, t. XLIV, année 1747, no 482.