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trées ; ce spath plus ou moins pur, plus ou moins transparent, affecte toujours une forme rhomboïdale dont les angles opposés sont égaux et les faces parallèles ; il est composé de lames minces, toutes appliquées les unes contre les autres, sous une même inclinaison, en sorte qu’il se fend facilement, suivant chacune de ses trois dimensions, et il se casse toujours obliquement et parallèlement à quelqu’une de ses faces ; ses fragments sont semblables pour la forme, et ne diffèrent que par la grandeur : ce spath est ordinairement blanc, et quelquefois coloré de jaune, d’orangé, de rouge et d’autres couleurs.

C’est sur ce spath transparent qu’Érasme Bartholin a observé le premier[1] la double réfraction de la lumière ; et peu de temps après, Huygens a reconnu le même effet dans le cristal de roche, dont la double réfraction est beaucoup moins apparente que celle du cristal d’Islande. Nous avertirons en passant qu’aucun de ces cristaux à double réfraction ne peut servir pour les lunettes d’approche ni pour les microscopes, parce qu’ils doublent tous les objets et diminuent plus ou moins l’intensité de leur couleur. La lumière se partage en traversant ces cristaux, de manière qu’un peu plus de la moitié passe selon la loi ordinaire, et produit la première réfraction, et le reste de cette même lumière passe dans une autre direction et produit la seconde réfraction dans laquelle l’image de l’objet est moins colorée que dans l’image de la première[2]. Cela m’a fait penser que le rapport des sinus d’incidence et de réfraction ne devait pas être le même dans les deux réfractions, et j’ai reconnu, par quelques expériences faites en 1742 avec un prisme de cristal d’Islande, que le rapport est à la vérité, comme l’ont dit Bartholin et Huygens, de 5 à 3 pour la première réfraction, mais que ce rapport qu’ils n’ont pas déterminé par la seconde réfraction, et qu’ils croyaient égal au premier, en diffère d’un septième, et n’est que de 5 à 3 1/2 ou de 10 à 7, au lieu de 5 à 3 ou de 10 à 6, en sorte que cette seconde réfraction est d’un septième plus faible que la première.

Dans quelque sens que l’on regarde les objets à travers le cristal d’Islande, ils paraîtront toujours doubles, et les images de ces objets sont d’autant plus éloignées l’une de l’autre que l’épaisseur du cristal est plus grande. Ce dernier effet est le même dans le cristal de roche ; mais le premier effet est différent, car il y a un sens dans le cristal de roche, où la lumière passe sans se partager et ne subit pas une double réfraction[3], au

    n’ont point été gênées pour s’étendre et pour former leur tête ; nos cristaux sont collés l’un contre l’autre, et ils semblent partir de leur matrice ou du rocher, comme plusieurs rayons d’un centre commun ; ceux qui sont exposés à l’air sont fort petits, et ils ont perdu presque toute leur transparence, ce qui est une suite de l’évaporation de leur eau, et du dessèchement que l’air ou le soleil y ont produit. Les plus grands et les plus transparents sont couverts de terre ; ils ont pour l’ordinaire un pied et demi de longueur, et quatre à cinq pouces dans leur plus grande épaisseur, ce qui est, en fait de cristaux, une taille gigantesque. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1746, p. 729.

  1. Erasmi Bartholini experimenta cristalli Islandici ; Hafniæ, 1669.
  2. Lorsqu’on reçoit les rayons du soleil sur un prisme de cristal de roche placé horizontalement, il se forme deux spectres situés perpendiculairement, dont le second anticipe sur le premier, en sorte que, si le carton sur lequel on reçoit les spectres est, par exemple, à sept pieds et demi de distance, les couleurs paraissent dans l’ordre suivant : d’abord le rouge, l’orangé, le jaune, le vert, ensuite un bleu faible, puis un beau cramoisi surmonté d’une petite bande blanchâtre, ensuite du vert, et enfin du bleu qui occupait le haut de l’image, de sorte que la partie inférieure du spectre supérieur se trouve mêlée avec la partie supérieure du spectre inférieur ; on peut même, malgré ce mélange, reconnaître l’étendue de chacun de ces spectres, et la quantité dont l’un anticipe sur l’autre. J’ai fait cette observation en 1742.
  3. La double réfraction du cristal de roche se fait dans le plan de sa base naturelle dont les angles sont de soixante degrés ; cette réfraction est plus ou moins forte, suivant la différente ouverture des angles, pourvu qu’il soit toujours dans le même sens de ses côtés natu-