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de chanvre ou de lin ; mais ces substances végétales se brûlent dès la première fois qu’on jette au feu cette toile, et il ne reste alors qu’un mauvais canevas percé de mille trous, et dans lequel les cendres des matières enveloppées de cette toile ne pourraient se conserver comme on l’a prétendu des corps qu’on faisait brûler dans cette toile pour en obtenir la cendre pure et sans mélange. La chose est peut-être possible en multipliant les enveloppes de cette toile autour d’un corps dont on voudrait conserver la cendre ; ces toiles pourraient alors la retenir sans la laisser échapper ; mais ce qui prouve que cette pratique n’a jamais été d’un usage commun, c’est qu’à peine y a-t-il un exemple de toile d’amiante trouvée dans les anciens tombeaux[1] ; cependant on lit, dans Plutarque, que les Grecs faisaient des toiles avec l’amiante, et qu’on voyait encore de son temps des essuie-mains, des filets, des bonnets et des habits de ce fil, qu’on jetait dans le feu quand ils étaient sales et qui ne s’y consumaient pas, mais y reprenaient leur premier lustre. On cite aussi les serviettes de l’empereur Charles-Quint, et l’on assure que l’on a fait de ces toiles à Venise, à Louvain et dans quelques autres provinces de l’Europe ; les voyageurs attestent encore que les Chinois savent fabriquer ces toiles[2] : une telle manufacture me paraît néanmoins d’une exécution assez difficile, et Pline avait raison de dire asbestos inventu rarum, textu difficillimum. Cependant il paraît, par le témoignage de quelques auteurs italiens, qu’on a porté, dans le dernier siècle, l’art de filer l’amiante et d’en faire des étoffes, à un tel degré qu’elles étaient souples, maniables et fort approchantes, pour le lustre, de la peau d’agneau préparée qui est alors fort blanche : ils disent même qu’on pouvait rendre ces étoffes épaisses et minces à volonté, et que par conséquent on en faisait une sorte de drap assez épais et un papier blanc assez mince[3]. Mais je ne sache pas qu’il y ait aujourd’hui en Europe aucune manufacture d’étoffe, de drap, de toile ou de papier d’amiante ; on fait seulement dans quelques villages, autour des Pyrénées, des cordons, des bourses et des jarretières d’un tissu grossier, de l’amiante jaunâtre qui se trouve dans ces montagnes.

    préparée ; ajustez-la entre les deux cardes que vous placerez sur une table où elles tiendront lieu de quenouilles.

    » Posez sur la même table une bobine de lin ordinaire filé très fin, dont vous tirerez un fil en même temps que vous en tirerez deux ou trois de l’amiante qui est entre les cardes, et par le moyen d’un fuseau réunissez le lin et l’amiante en un seul fil ; pour rendre ce filage plus facile, et pour garantir les doigts de la corrosion de l’amiante, trempez-les dans de l’huile d’olive. » Mémoires de l’Académie des belles-lettres, t. IV, p. 639.

  1. M. Mahudel cite le suaire d’amiante qui est à la Bibliothèque du Vatican, et qui renferme des cendres et des ossements à demi brûlés, avec lesquels il a été trouvé dans un ancien tombeau ; ce suaire a neuf palmes romaines de longueur sur sept de largeur. Cet auteur pense qu’en supposant que ce suaire soit antique, il peut avoir servi pour quelque prince, mais que l’on n’en doit tirer aucune conséquence pour un usage général, puisqu’il est le seul que l’on ait vu de cette espèce dans le nombre infini de tombeaux que l’on a ouverts, ni même dans ceux des empereurs. Mémoires de l’Académie des belles-lettres, t. IV, p. 639.
  2. L’on voit encore, dans le royaume de la Chine, des linges ou toiles incombustibles, comme celles dont il est fait mention dans les anciens auteurs, qui sont par conséquent faites d’une sorte d’amiante ou pierre de Caryste, qui ne diffère point du lin incombustible de Pline : il n’y a que quelques années que le P. Couplet, jésuite, qui avait demeuré pendant trente ans dans divers quartiers de ce royaume, apporta plusieurs pièces de ce linge qu’il fit voir à l’auteur du présent livre en 1684 : les Chinois s’en servent à différents usages, et surtout au lieu de serviettes, d’essuie-mains et d’autres linges de cette nature. Lorsqu’ils sont gras ou sales, on les jette dans le feu, où ils se purifient et se nettoient sans être endommagés. Description de l’Archipel, etc., par Dapper ; in-fol., p. 331.
  3. Voyez le Dictionnaire encyclopédique de Chambers, article Lin incombustible.