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cette matière, qui résiste en effet à l’action du feu jusqu’à un certain point, mais qui néanmoins n’y est pas inaltérable comme on l’a prétendu[1].

Quoique l’amiante fût autrefois beaucoup plus rare qu’il ne l’est aujourd’hui, et que, selon le témoignage de Pline, son prix égalât celui des perles, il paraît cependant que les anciens connaissaient mieux que nous l’art de le préparer et d’en faire usage. Dans ce temps on tirait l’amiante de l’Inde, de l’Égypte, et particulièrement de Caryste, ville de l’Eubée, aujourd’hui Négrepont, d’où Pausanias l’a dénommé linum caristium[2]. Pour tirer la matière fibreuse et incombustible dont l’amiante est formé, on en brise la masse, on secoue ensuite l’espèce de filasse qui en provient afin d’en séparer la terre, on la peigne, on la file, et on en fait une sorte de toile qui ne se consume que peu dans nos feux ordinaires ; l’amiante, ainsi préparé, peut aussi servir à faire des mèches très durables pour les lampes, et on en ferait également avec du talc, qui a de même la propriété de résister au feu. « Il y a une sorte de lin qu’on nomme lin vif, linum vivum, parce qu’il est incombustible, dont j’ai vu, dit Pline, des nappes qu’on jetait après le repas dans le feu lorsqu’elles étaient sales, et qu’on en retirait beaucoup plus blanches que si elles eussent été lavées ; on enveloppe les corps des rois, après leur mort, avec une toile faite de ce lin, lorsqu’on veut les brûler, afin que les cendres ne se mêlent point avec celles du bûcher… Ce lin est très difficile à travailler, parce qu’il est très court ; il perd dans le feu la couleur rousse qu’il avait d’abord, et il devient d’un blanc éclatant[3]. » Le père Kircher dit qu’il avait, entre autres ouvrages[4] faits des filaments de cette pierre, une feuille de papier sur laquelle on pouvait écrire, et qu’on jetait ensuite au feu pour effacer l’écriture, d’où on la retirait aussi blanche qu’avant qu’on s’en fût servi, de sorte qu’une seule feuille de ce papier aurait pu suffire au commerce de lettres de deux amis ; il dit aussi qu’il avait un voile de femme pareillement fait de fil d’amiante, qui lui avait été donné par le cardinal de Lugo, qu’il ne blanchissait jamais autrement qu’en le jetant au feu ; et qu’il avait eu une mèche de cette même matière, qui lui avait servi pendant deux ans dans sa lampe, sans qu’elle se fût consumée. Mais quelque avantageusement que les anciens aient parlé des ouvrages faits de fils d’amiante, il est constant qu’à considérer la nature de cette matière, il y a lieu de juger que ces ouvrages n’ont jamais pu être d’un bon service et que, lorsqu’on a fait quelque usage de cette espèce de filasse minérale, la curiosité y a eu plus de part que l’utilité ; d’ailleurs, cette matière a toujours été assez rare et fort difficile à employer, et si l’art de la préparer est du nombre des secrets qu’on a perdus, il n’est pas fort regrettable.

Quelques auteurs modernes[5] ont écrit sur la manière de faire de la toile avec l’amiante. M. Mahudel, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, a donné le détail de cette manipulation[6], par laquelle on obtient en effet une toile, ou plutôt un tissu d’amiante mêlé

  1. Nonobstant l’opinion commune que le feu n’a point d’effet sur l’asbeste, néanmoins, dans deux expériences faites devant la Société royale de Londres, une pièce de drap incombustible fait de cette pierre, longue d’un pied et large d’un demi-pied, pesant environ une once et demie, fut trouvée avoir perdu plus d’un drachme de son poids chaque fois que l’on en fit l’épreuve. Dictionnaire encyclopédique de Chambers, article Lin incombustible.
  2. Agricola : De natura fossilium.
  3. Histoire naturelle, liv. xix, chap. i.
  4. De mundo subterraneo, lib. viii.
  5. Campani : De lino incombustibili sive amianto ; Romæ, 1691.
  6. « Choisissez, dit M. Mahudel, l’amiante dont les fils sont les plus longs et les plus soyeux ; divisez-les sans les broyer ; faites-les infuser dans de l’eau chaude ; remuez-les, et changez l’eau jusqu’à ce qu’il ne reste plus de terre adhérente à ces fils ; faites-les sécher au soleil ; arrangez-les sur deux cardes à dents fines, semblables à celles des cardeuses de laine : après les avoir tous séparés en les cardant doucement, rassemblez la filasse ainsi