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parties du talc et du mica plus ou moins purs ou moins décomposés. Quelques autres observateurs, ayant trouvé de l’amiante dans des terres argileuses, ont cru que c’était un produit de l’argile[1] ; ils ont attribué la même origine au mica[2], parce qu’on en rencontre souvent dans les terres argileuses, et qu’ils ont reconnu que le mica ainsi que l’asbeste se convertissaient en argile ; ils auraient dû en conclure, au contraire, que l’argile pouvait être produite par le mica, comme elle peut l’être et l’a en effet été par la décomposition du quartz, du feldspath et de toutes les autres matières vitreuses primitives ; enfin je ne crois pas qu’il soit nécessaire de discuter l’opinion de ceux qui ont cru que l’amiante et l’asbeste étaient formés par les sels de la terre : cette idée ne leur est venue qu’à cause de leur ressemblance avec l’alun de plume, dont néanmoins l’amiante et l’asbeste diffèrent par leur essence et par toutes leurs propriétés ; car l’alun de plume est soluble dans l’eau, fusible dans le feu, et il a une saveur très astringente ; l’amiante et l’asbeste, au contraire, n’ont aucune propriété des sels ; ils sont insipides, ne se dissolvent pas dans l’eau, résistent très longtemps à l’ardeur du feu, et ne se vitrifient que par un feu du dernier degré ; leur substance n’est composée que d’un mica plus ou moins atténué, que les stillations de l’eau ont charrié et disposé par filaments entre les couches de certaines matières. « Les particules qui sont appliquées à un corps solide par l’intermède d’un fluide peuvent prendre la forme de fibrilles, dit Stenon, soit en passant dans des pores ouverts, comme dans des espèces de filières, soit en s’engageant, poussées par le fluide, dans les interstices des fibres déjà formées[3]. » Mais il n’est pas nécessaire de supposer, avec Stenon, des filières pour expliquer la formation des filaments de l’amiante, puisqu’on trouve cette même forme dans les talcs, dans les gypses et jusque dans les sels ; c’est même l’une des formes que la nature donne le plus souvent à toutes les matières visqueuses ou atténuées, au point d’être grasses et douces au toucher.

Il ne paraît pas douteux que l’amiante ou l’asbeste des Grecs, le lin vif dont parle Pline[4], et la salamandre de quelques auteurs, ne soient une même chose, de sorte que ces diverses dénominations nous indiquent déjà une des principales propriétés de

  1. « J’ai trouvé, dit M. Nebel, de l’asbeste dans une couche argileuse, que j’ai reconnu avoir été formée par une argile extrêmement tendre ; mais je ne crois pas qu’aucun de nos naturalistes ait jamais fait mention de ce minéral de la principauté de Hesse. On connaît l’asbeste, on sait en quoi il diffère de l’amiante, et les différents usages auxquels il sert : je me borne donc à dire qu’il se forme de l’argile, ce que personne n’a déterminé jusqu’à présent… Et je conclus de son origine et de la facilité qu’on a de le réduire en une terre argileuse, que l’asbeste n’est autre chose qu’un composé fibreux d’une argile extrêmement tendre. J’ignore si l’on connaît un menstrue propre à le dissoudre ; mais le hasard m’en a fait connaître un qui n’est autre chose que la lessive : elle le dissout dans l’instant lorsqu’il n’est pas trop sec ; et s’il est vrai, comme on le dit, que les corps se résolvent dans les principes dont ils sont composés, je crois pouvoir avancer hardiment que l’asbeste, se réduisant en argile, doit nécessairement être formé de la même substance. Journal de physique, juillet 1773, p. 62.
  2. Il est dit, dans une nouvelle Minéralogie qu’on croit être de M. Cronstedt, que le mica et l’asbeste se forment de l’argile, et que, si cela n’était pas, l’un et l’autre deviendraient friables en les mettant au feu, et se fondraient par le moyen d’une terre martiale ; cependant l’auteur n’ose l’assurer positivement. Idem, ibidemM. l’abbé Rozier dit dans une note : « Je ne sais si l’on doit attribuer cette découverte à M. Nebel ; mais il est certain qu’en 1766, l’Académie des sciences de Sienne couronna un Mémoire dans lequel il est dit que l’amiante est une argile transformée, et que le talc est également une autre production de l’argile. » Quelques auteurs ont fait deux genres séparés des asbestes et des amiantes ; nous croyons au contraire qu’elles forment des espèces qui ne diffèrent les unes des autres que par la disposition des fibres. Idem, ibidem.
  3. De solido intrà solidum.
  4. Histoire naturelle, liv. xix, chap. i.