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MOLYBDÈNE

La molybdène[NdÉ 1] est une concrétion talqueuse, plus légère que les serpentines et pierres ollaires, mais qui, comme elles, prend au feu plus de dureté, et même de densité[1]. Sa couleur est noirâtre et semblable à celle du plomb exposé à l’air, ce qui lui a fait donner les noms de plombagine et de mine de plomb ; cependant elle n’a rien de commun que la couleur avec ce métal dont elle ne contient pas un atome : le fond de sa substance n’est que du mica atténué ou du talc très fin, dont les parties, rapprochées par l’intermède de l’eau, ne se sont pas réunies d’assez près pour former une matière aussi compacte et aussi dure que celle des serpentines, mais qui du reste est de la même essence, et nous présente tous les caractères d’une concrétion talqueuse.

Les chimistes récents ont voulu séparer la plombagine de la molybdène, et les distinguer en ce que la molybdène ne contient point de soufre, et que la plombagine au contraire en fournit une quantité sensible ; il est bien vrai que la molybdène ne contient point de soufre ; mais, quand même on trouverait dans le sein de la terre de la molybdène mêlée de soufre, ce ne serait pas une raison de lui ôter son nom pour lui donner celui de plombagine ; car cette dernière dénomination n’est fondée que sur un rapport superficiel et qui peut induire en erreur, puisque cette plombagine n’a rien de commun que la couleur avec le plomb. J’ai fait venir de gros et beaux morceaux de molybdène du duché de Cumberland, et l’ayant comparée avec la molybdène d’Allemagne, j’ai reconnu que celle d’Angleterre était plus pure, plus légère et plus douce au toucher[2] ; le prix en est aussi très différent, celle de Cumberland est dix fois plus chère, à volume égal ; cependant ni l’une ni l’autre de ces molybdènes, réduites en poudre et mises sur les charbons ardents, ne répandaient l’odeur de soufre ; mais ayant mis à la même épreuve les crayons qui sont dans le commerce, et qui me paraissaient être de la même substance, ils ont tous exhalé une assez forte odeur sulfureuse ; et j’ai été informé que, pour épargner la matière de la molybdène, les Anglais en mêlaient la poudre avec du soufre avant de lui donner la forme de crayon : on a donc pu prendre cette molybdène artificielle et mêlée de soufre pour une matière différente de la vraie molybdène, et lui donner en conséquence le nom de plombagine. M. Schéele, qui a fait un grand nombre d’expériences sur cette matière, convient que la plombagine pure ne contient point de soufre, et dès lors cette plombagine pure est la même que notre molybdène ; il dit avec raison qu’elle résiste aux acides, mais que, par la sublimation avec le sel ammoniac, elle donne des fleurs martiales[3]. Cela me semble indiquer que le fer entre dans sa composition, et que c’est à ce métal qu’elle doit sa couleur noirâtre.

  1. La pesanteur spécifique de la molybdène du duché de Cumberland est de 20 891 ; et lorsqu’elle a subi l’action du feu, sa pesanteur est de 23 006.
  2. La pesanteur spécifique de la molybdène d’Allemagne est de 22 456, tandis que celle de Cumberland n’est que de 20 891.
  3. Expériences sur la mine de plomb ou plombagine, par M. Schéele. Journal de physique ; février 1782. — Je remarquerai que ceci avait déjà été observé par M. Pott, qui a prouvé que le crayon noir ou molybdène est toujours ferrugineux, « en ce que, dit-il, si on le mêle avec du sel ammoniac, il donne des fleurs martiales, et que quand le feu l’a dégagé des parties grasses qui l’environnent, il est attiré par l’aimant, sans parler de beaucoup d’autres expériences qu’on peut voir dans les Miscellanea Berolinensia, t. VI, p. 29. »
  1. Buffon parle ici du sulfure de molybdène. [Note de Wikisource : Buffon se trompe donc doublement en prétendant qu’il n’y a pas de soufre dans « la molybdène », et que celui-ci contient du mica et du fer : le sulfure de molybdène est formé de soufre et de molybdène, métal blanc très dur isolé pour la première fois par Scheele. Quant à la comparaison avec la plombagine, ou graphite, qui est une forme de carbone pur, elle n’est fondée que sur des caractéristiques physiques, et non sur une parenté de composition chimique.]