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Cette matière est moins compacte que la substance de la pierre ; car la pesanteur spécifique des agates et des cailloux herborisés n’est pas tout à fait aussi grande que celle de ces mêmes pierres qui ne présentent point d’herborisations[1].

On trouve ces prétendues représentations de plantes et d’arbres encore plus fréquemment dans les pierres calcaires que dans les matières vitreuses ; on voit de semblables figures aussi finement dessinées, mais plus en grand, sur plusieurs pierres communes et calcinables de l’espèce de celles qui se délitent facilement et que la gelée fait éclater : ce sont les lentes et les gerçures de ces pierres qui donnent lieu à ces sortes de paysages, chaque fente ou délit produit un tableau différent et dont les objets sont ordinairement répétés sur les deux faces contiguës de la pierre. « La matière colorante des dendrites, dit M. Salerne[2], n’est que superficielle, ou du moins ne pénètre pas profondément dans la pierre : aussi, lorsqu’elles ont été exposées pendant un certain temps aux injures de l’air, le coloris des images s’affaiblit insensiblement, et leurs traits s’effacent à la fin ; un degré de chaleur assez modéré fait aussi disparaître promptement les herborisations de ces dendrites, mais elles résistent sans altération à l’eau de savon, à l’huile de tartre par défaillance, à l’esprit volatil du sel ammoniac, à l’esprit-de-vin : si, au contraire, on fait tremper pendant quelque temps une dendrite dans du vinaigre distillé, les figures s’effacent en partie, quoique leurs traces y restent encore d’une manière assez apparente ; mais l’esprit de vitriol décolore sur-le-champ ces dendrites, et, lorsqu’elles ont séjourné pendant vingt-quatre heures dans cette liqueur, le paysage disparaît entièrement. » Néanmoins ces acides n’agissent pas immédiatement sur les herborisations, et ne les effacent qu’en dissolvant la substance même de la pierre sur laquelle elles sont tracées, car cette pierre dont parle M. Salerne était calcaire et de nature à être dissoute par les acides.

On peut imiter les herborisations, et il est assez difficile de distinguer les fausses dendrites des véritables ; « il est bien vrai, dit l’historien de l’Académie, que, pour faire perdre à des agates ces ramifications d’arbrisseaux ou de buissons qui leur ont été données par art, ou, ce qui est la même chose, effacer les couleurs de ces figures, il ne faut que tremper les pierres dans de l’eau-forte, et les laisser ainsi à l’ombre dans un lieu humide pendant dix ou douze heures ; mais il n’est pas vrai que ce soit là, comme on le croit, un moyen sûr de reconnaître les dendrites artificielles d’avec les naturelles. M. de la Condamine fit cette épreuve sur deux dendrites, moins pour la faire que pour s’assurer encore qu’il n’en arriverait rien, car les deux agates étaient hors de tout soupçon, surtout par l’extrême finesse de leurs rameaux, qui est-ce que l’art ne peut attraper ; effectivement, pendant trois ou quatre jours il n’y eut aucun changement ; mais par bonheur les dendrites, mises en expérience, ayant été oubliées sur une fenêtre pendant quinze jours d’un temps humide et pluvieux, M. de la Condamine les retrouva fort changées ; il s’était mêlé un peu d’eau de pluie avec ce qui restait d’eau forte dans le vase : l’agate où la couleur des arbrisseaux était la plus faible l’avait entièrement perdue, hors dans un seul petit endroit ; l’autre était partagée en deux parties, celle qui trempait dans la liqueur était effacée, celle qui demeurait à sec avait conservé toute sa netteté et la force des traits de ses arbrisseaux. Il a fallu, pour cette expérience, de l’oubli, au lieu de soin et d’attention[3]. »

  1. La pesanteur spécifique de l’agate orientale est de 25 901 ; de l’agate irisée, 25 535 ; de l’agate herborisée, 25 981 ; la pesanteur spécifique du caillou olivâtre, 26 067 ; du caillou taché, 25 867 ; du caillou veiné, 26 122 ; du caillou onyx, 26 644 ; et du caillou herborisé d’Égypte, 25 648. Tables de M. Brisson.
  2. Mémoires des Savants étrangers, t. III. Voyez aussi les Observations de M. l’abbé de Sauvages, dans les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1745.
  3. Histoire de l’Académie des sciences, année 1733, p. 251.