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Aussi m’a-t-il toujours paru que l’on devait rejeter l’opinion vulgaire de nos naturalistes, qui n’est fondée que sur une analogie mal entendue : « Les cailloux creux, disent-ils, se forment autour d’un noyau ; la couche intérieure est la première produite, et la couche extérieure se forme la dernière. » Cela pourrait être s’il y avait en effet un noyau au centre, et que le caillou fût absolument plein ; et c’est tout le contraire, car on n’y voit qu’une cavité vide et point de noyau : « mais ce noyau, disent-ils, était d’une substance qui s’est détruite à mesure que le caillou s’est formé ; » or, je demande si ce n’est pas ajouter une seconde supposition à la première, et cela sans fondement et sans succès, puisqu’on ne voit aucun débris, aucun vestige de cette prétendue matière du noyau ; d’ailleurs ce noyau, qui n’existe que par supposition, aurait dû être aussi grand que l’est la cavité ; et comme, dans la plupart des cailloux creux, cette cavité est très considérable, doit-on raisonnablement supposer qu’un aussi gros noyau se fût non seulement détruit, mais anéanti, sans laisser aucune trace de son existence ? Elle n’est en effet fondée que sur la fausse idée de la formation de ces pierres, par couches additionnelles, autour d’un point qui leur sert de centre, tandis qu’elles se forment sur la surface concave de la cavité, qui seule existe réellement.

Je puis encore appuyer la vérité de mon opinion sur un fait certain : c’est que la substance des cailloux est toujours plus pure, plus dure, et même moins opaque à mesure que l’on approche de leur cavité ; preuve évidente que le suc vitreux s’atténue et s’épure de plus en plus en passant à travers les couches qui se forment successivement de la circonférence au centre, puisque les couches extérieures sont toujours moins compactes que les intérieures.

Quoique le caillou prenne toutes les formes des moules dans lesquels il se forme, la figure globuleuse est celle qu’il paraît affecter le plus souvent ; et c’est en effet cette forme de cavité qui s’offre le plus fréquemment au dépôt de la stillation des eaux, soit dans les boursouflures des verres primitifs, soit dans les vides laissés dans les couches des schistes et des glaises, par la destruction des oursins, des pyrites globuleuses, etc., mais ce qui prouve que le caillou proprement dit, et surtout le caillou creux, n’a pas reçu cette figure globuleuse par les frottements extérieurs comme les pierres auxquelles on donne le nom de cailloux roulés, c’est que celles-ci sont ordinairement pleines, et que leur surface est lisse et polie, au lieu que celle des cailloux creux est le plus souvent brute et raboteuse : ce n’est pas qu’il ne se trouve aussi de ces cailloux creux qui, comme les autres pierres, ont été roulés par les eaux, et dont la surface s’est plus ou moins usée par le frottement ; mais ce second effet est purement accidentel, et leur formation primitive en est totalement indépendante.

En rappelant donc ici la suite progressive des procédés de la nature dans la production des stalactites du genre vitreux, nous voyons que le suc qui forme la substance des agates et autres pierres demi-transparentes est moins pur dans ces pierres que dans les cristaux, et plus impur dans les cailloux que dans ces pierres demi-transparentes. Ce sont là les degrés de transparence et de pureté par lesquels passent les extraits des verres primitifs ; ils se réunissent ou se mêlent avec des substances terreuses pour former les cailloux, qui le plus souvent sont mélangés et toujours teints d’une matière ferrugineuse : ce mélange et cette teinture sont les causes de leur opacité ; mais ce qui démontre qu’ils tirent leur origine des matières vitreuses primitives, et qu’ils sont de la même essence que les agates et les cristaux, c’est l’égale densité des cailloux et des agates[1] : ils sont aussi à très peu près de la même dureté, et reçoivent également un poli vif et brillant ; quelques-uns

  1. Pesanteur spécifique du caillou olivâtre, 26 067 ; de l’agate orientale, 26 001 ; du caillou veiné, 26 122 ; de l’agate onyx, 26 375 ; et du caillou onyx, 26 644. Tables de M. Brisson.