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pas quelle est cette matière grasse : on peut lui demander si c’est de la graisse, de l’huile ou de l’eau mère de sel ; et ces deux tiers d’alun sont-ils de l’alun pur, ou seulement de la terre alumineuse ? Quoi qu’il en soit, il nous apprend qu’il a fait la découverte d’une pierre, en Silésie, qui présente les mêmes phénomènes que celle-ci : « Cette pierre, dit-il, est faiblement transparente : mais, plongée dans l’eau, elle le devient complètement ; il lui faut seulement plus de temps pour acquérir toute sa transparence[1]. » De plus, par les recherches particulières que M. Gerhard a faites de ces pierres hydrophanes, il assure en avoir vu qui avaient jusqu’à deux pouces un quart de longueur sur un pouce un huitième de largeur, et plus d’un pouce d’épaisseur par un bout ; et il dit qu’on les trouve dans la matière intercalée entre les couches des calcédoines de l’île de Feroë.

Il est vrai que ces pierres hydrophanes ne sont pas également susceptibles de prendre à volume égal le même degré de transparence : les unes deviennent bien plus diaphanes ou le deviennent en bien moins de temps que les autres ; il y en a qui changent de couleur et qui, de grises, deviennent jaunes par l’imbibition de l’eau ; mais nous avons vu plusieurs de ces pierres dont les unes étaient grises, les autres rougeâtres, d’autres verdâtres, et qui ne changeaient pas sensiblement de couleur dans l’eau où elles prenaient une assez belle transparence. M. le docteur Titius, savant naturaliste et directeur du Cabinet d’histoire naturelle de Dresde, m’a fait voir quelques-unes de ces pierres et m’a confirmé le fait avancé par M. Gerhard, que l’hydrophane grise est une matière qui se trouve intercalée entre les couches de la calcédoine. M. Daubenton, de l’Académie des sciences, a vérifié ce fait en réduisant à une petite épaisseur quelques-unes des couches opaques grises ou blanches qui se trouvent souvent entre les couches des calcédoines : il y a aussi toute apparence que cette même matière sert quelquefois d’enveloppe et recouvre la couche extérieure des calcédoines ; car on a vu des hydrophanes grises qui avaient trop d’épaisseur pour qu’on puisse les regarder comme des couches de lames intercalées dans la petite masse des calcédoines ; on peut aussi présumer qu’en recherchant sur les cornalines, sardoines et agates colorées, les couches opaques qui les enveloppent ou les traversent, on trouvera des hydrophanes de divers couleurs, rougeâtres, jaunâtres, verdâtres, semblables à celles que m’a montrées M. Titius ; et je pense que cette matière qui fait la substance des hydrophanes n’est que la portion la plus grossière du suc vitreux qui forme les agates : comme les parties de cette matière ne sont pas assez atténuées, elles ne peuvent se réunir d’assez près pour prendre la demi-transparence et la dureté de l’agate ; elles forment une substance opaque, poreuse et friable, à peu près comme le grès. Ce sont en effet de petits grains quartzeux, réunis plutôt que dissous, qui laissent entre eux des vides continus et tortueux en tout sens, et dans lesquels la lumière s’éteint et ne peut passer que quand ils sont remplis d’eau : la transparence n’appartient donc pas à la pierre hydrophane, et ne provient uniquement que de l’eau qui fait alors une partie majeure de sa masse, et je suis persuadé qu’en faisant la même épreuve sur des grès amincis, on les rendrait hydrophanes

  1. Il y a cependant une grande différence entre ce morceau et les autres qu’on avait auparavant examinés ; il faut à celui-ci plusieurs jours avant qu’il devienne transparent dans l’eau. M. Gerhard, examinant cette différence, a trouvé qu’elle consiste uniquement dans une plus grande quantité de matière grasse ; car, si l’on fait bouillir cette nouvelle espèce d’oculus mundi dans le vinaigre, et encore mieux dans la lessive caustique, on s’apercevra qu’après cette opération il faut beaucoup moins de temps pour qu’elle devienne transparente. Cette expérience donne lieu de présumer que toutes les pierres grasses dans lesquelles la matière grasse n’est pas trop abondante, et qui ne sont pas trop chargées de parties martiales, pourraient produire le même effet, d’autant plus qu’il est vraisemblable que toutes les espèces qui appartiennent à cette classe doivent leur origine surtout à une terre glaise ou marneuse dont le caractère principal est de s’imbiber fortement des principes fluides. Journal de physique de M. l’abbé Rozier, mars 1778.