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sation est le produit d’une attraction régulière et uniforme entre des molécules homogènes et similaires ; et ce qui produit l’opacité dans les extraits des sucs pierreux n’est que le mélange de quelque substance hétérogène, et spécialement de la matière métallique non simplement étendue en teinture, comme dans les pierres transparentes et colorées, mais incorporée et mêlée en substance massive avec la matière pierreuse. Or, la puissance attractive de ces molécules métalliques suit une autre loi que celle sous laquelle les molécules pierreuses s’attirent et tendent à se joindre : il ne peut donc résulter de ce mélange qu’une attraction confuse dont les tendances diverses se font réciproquement obstacle, et ne permettent pas aux molécules de prendre entre elles aucune ordonnance régulière ; et il en est de même du mélange des autres matières minérales ou terreuses, trop hétérogènes pour que les rapports d’attraction puissent être les mêmes ou se combiner ensemble dans la même direction sans se croiser, et nuire à l’effet général de la cristallisation et de la transparence.

Afin que la cristallisation s’opère, il faut donc qu’il y ait assez d’homogénéité entre les molécules pour qu’elles concourent à s’unir sous une loi d’affinité commune, et en même temps on doit leur supposer assez de liberté pour qu’obéissant à cette loi, elles puissent se chercher, se réunir et se disposer entre elles dans le rapport combiné de leur figure propre avec leur puissance attractive ; or, pour que les molécules aient cette pleine liberté, il leur faut non seulement l’espace, le temps et le repos nécessaires, mais il leur faut encore le secours ou plutôt le soutien d’un véhicule fluide dans lequel elles puissent se mouvoir sans trop de résistance et exercer avec facilité leurs forces d’attraction réciproque. Tous les liquides, et même l’air et le feu comme fluides, peuvent servir de soutien aux molécules de la matière atténuée au point de la dissolution. Le feu primitif fut le fluide dans lequel s’opéra la cristallisation du feldspath et du schorl ; la cristallisation des régules métalliques s’opère de même à nos feux, par le rapprochement libre des molécules du métal en fusion par le fluide igné. De semblables effets doivent se produire dans le sein des volcans ; mais ces cristallisations, produites par le feu, sont en très petit nombre en comparaison de celles qui sont formées par l’intermède de l’eau : c’est en effet cet élément qui, dans l’état actuel de la nature, est le grand instrument et le véhicule propre de la plupart des cristallisations ; ce n’est pas que l’air et les vapeurs aqueuses ne soient aussi pour les substances susceptibles de sublimation des véhicules également propres et des fluides très libres où leur cristallisation peut s’opérer avec toute facilité ; et il paraît qu’il se fait réellement ainsi un grand nombre de cristallisations des minéraux renfermés et sublimés dans les cavités de la terre ; mais l’eau en produit infiniment plus encore, et même l’on peut assurer que cet élément seul forme actuellement presque toutes les cristallisations des substances pierreuses, vitreuses ou calcaires.

Mais une seconde circonstance essentielle, à laquelle il paraît qu’on n’a pas fait attention, c’est qu’aucune cristallisation ne peut se faire que dans un bain fluide, toujours égal et constamment tranquille, dans lequel les molécules dissoutes nagent en liberté ; et, pour que l’eau puisse former ce bain, il est nécessaire qu’elle soit contenue en assez grande quantité et en repos dans des cavités qui en soient entièrement ou presque entièrement remplies. Cette circonstance d’une quantité d’eau qui puisse faire un bain est si nécessaire à la cristallisation, qu’il ne serait pas possible sans cela d’avoir une idée nette des effets généraux et particuliers de cette opération de la nature ; car la cristallisation, comme on vient de le voir, dépend en général de l’accession pleinement libre des molécules les unes vers les autres, et de leur transport dans un équilibre assez parfait pour qu’elles puissent s’ordonner sous la loi de leur puissance attractive, ce qui ne peut s’opérer que dans un fluide abondant et tranquille : et, de même, il ne serait pas possible de rendre raison de certains effets particuliers de la cristallisation, tels, par exemple, que le jet en tout sens des aiguilles dans un groupe de cristal de roche, sans supposer un bain ou masse d’eau