Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/522

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regardée comme une propriété singulière et même unique, parce qu’elle n’a encore été distinctement observée que sur la tourmaline, doit se trouver plus ou moins dans toutes les pierres qui ont la même origine ; et d’ailleurs, la chaleur ne produit-elle pas un frottement extérieur et même intérieur dans les corps qu’elle pénètre ; et réciproquement, toute friction produit de la chaleur. Il n’y a donc rien de merveilleux, ni de surprenant, dans cette communication de l’électricité par l’action du feu.

Toutes les pierres transparentes sont susceptibles de devenir électriques ; elles perdent leur électricité avec leur transparence, et la tourmaline elle-même subit le même changement, et perd aussi son électricité lorsqu’elle est trop chauffée.

Comme la tourmaline est de la même essence que les schorls, je suis persuadé qu’en faisant chauffer divers schorls, il s’en trouvera qui s’électriseront par ce moyen : il faut un assez grand degré de chaleur pour que la tourmaline reçoive toute la force électrique qu’elle peut comporter, et l’on ne risque rien en la tenant pour quelques instants sur les charbons ardents ; mais, lorsqu’on lui donne un feu trop violent, elle se fond comme le schorl[1] auquel elle ressemble aussi par sa forme de cristallisation, enfin elle est de même densité et d’une égale dureté[2] ; l’on ne peut guère douter, d’après tous ces caractères communs, qu’elle ne soit un produit de ce verre primitif. M. le docteur Demeste le présumait avec raison, et je crois qu’il est le premier qui ait rangé cette pierre parmi les schorls[3].

Toutes les tourmalines sont à demi transparentes ; les jaunes et les rougeâtres le sont plus que les brunes et les noires ; toutes reçoivent un assez beau poli ; leur substance, leur cassure vitreuse et leur texture lamelleuse comme celle du schorl achèvent de prouver qu’elles sont de la nature de ce verre primitif.

L’île de Ceylan, d’où sont venues les premières tourmalines, n’est pas la seule région qui les produise : on en a trouvé au Brésil, et même en Europe, et particulièrement dans le comté de Tyrol ; les tourmalines du Brésil sont communément vertes ou bleuâtres. M. Gerhard, leur ayant fait subir différentes épreuves, a reconnu qu’elles résistaient, comme les autres tourmalines, à l’action de tous les acides, et qu’elles conservaient la vertu électrique après la calcination par le feu, en quoi, dit-il, cette pierre diffère des autres tourmalines qui perdent leur électricité par l’action du feu[4] ; mais je ne puis être

  1. M. Rittman a observé que la tourmaline se fondait en un verre blanchâtre, et qu’en y ajoutant du borax et du spath fusible, elle se fondait entièrement, mais que les acides minéraux, même les plus forts, ne semblaient pas l’attaquer ; et, comme les mêmes phénomènes se manifestent dans la zéolithe et le basalte, il a conclu que la tourmaline en était une espèce, et la vertu électrique qu’il avait remarquée à une espèce de zéolithe, couleur de ponceau, le fortifia dans ce sentiment… Mais toutes ces recherches ne découvrent pas encore les vrais principes de la tourmaline. Journal de physique, supplément au mois de juillet 1782.
  2. La pesanteur spécifique de la tourmaline de Ceylan est de 30 541, celle de la tourmaline du Brésil de 30 863, et celle du schorl cristallisé de 30 926.
  3. La tourmaline est aussi rangée avec les schorls : en s’échauffant elle s’électrise d’un côté positivement, tandis que de l’autre côté elle s’électrise négativement, comme l’a observé M. Franklin. Sa couleur est rouge, jaunâtre ou d’un jaune noirâtre assez transparent ; elle est cristallisée comme le schorl de Madagascar, en prisme à neuf pans, souvent striés, terminés par deux pyramides trièdres obtuses placées en sens contraire. Lettres de M. Demeste, t. Ier, in-12, p. 291.
  4. Les pierres gemmes, ainsi que la tourmaline, se distinguent par la vertu électrique qui leur est propre, avec la différence pourtant que les premières ont besoin de friction pour exercer leur faculté attractive, au lieu que la seconde ne devient électrique qu’après avoir été mise sur de la braise, et possède, outre la faculté attractive, aussi la répulsive. Le basalte est une pierre fusible noirâtre, non électrique, qui écume beaucoup en fondant ; et, puisque