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rubis ; mais, sans être connaisseur, on pourra toujours les distinguer aisément : le grenat n’est pas si dur à beaucoup près, on peut l’entamer avec la lime, et d’ailleurs il a, comme toutes les autres pierres vitreuses, une double réfraction, tandis que le rubis et les vraies pierres précieuses dont la substance est homogène n’ont qu’une seule réfraction beaucoup plus forte que celle du grenat.

Et ce qui prouve encore que le grenat est de la même nature que les autres pierres vitreuses, c’est qu’il se décompose de même par l’action des éléments humides[1].

On trouve des grenats dans presque toutes les parties du monde. Nous connaissons en Europe ceux de Bohême, de Silésie, de Misnie, de Hongrie, de Styrie ; il s’en trouve aussi dans le Tyrol, en Suisse, en Espagne[2], en Italie et en France, surtout dans les terrains volcanisés[3] : ceux de Bohême sont les plus purs, les plus transparents et les mieux colorés[4]. Quelques voyageurs assurent en avoir trouvé de très beaux en Groenland et dans la Laponie[5].

  1. M. Greiselius dit (Éphémérides d’Allemagne, année 1670 à 1686) qu’à un mille de la vallée de Saint-Joachim, sur les confins de la Bohême et de la Misnie, sont des montagnes de grenats : tout y est plein de ces pierres, on en voit une grande quantité sur la surface de la terre, mais de nulle valeur, ayant été calcinées par la chaleur du soleil. Pour avoir des grenats de quelque prix, il faut fouiller la terre de ces montagnes, car il paraît qu’une certaine humidité est nécessaire pour les conserver. On dit qu’un cent pesant de ces pierres contient quelques onces d’argent fin. Collection académique, partie étrangère, t. IV, p. 101.
  2. Vers la moitié de ce chemin (de Motril à Almeria), il y a une grande plaine qui s’en éloigne à trois lieues ; elle est si remplie de grenats que l’on en pourrait charger un vaisseau ; le lieu où l’on en trouve le plus est un ravin formé par les eaux et les orages au pied d’une colline basse qui est aussi remplie de ces pierres. Dans le lit de ce ruisseau il y a beaucoup de pierres rondes avec du mica blanc ; elles sont pleines de grenats en dedans et en dehors, et l’on voit qu’ils viennent de la décomposition de la colline. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 125.
  3. Il y a plusieurs années qu’on a découvert près de Salins une veine de grenats. Sur l’exploitation des mines, par M. de Gensane ; Savants étrangers, t. IV, p. 141. — On trouve, sur les bords d’un ruisseau nommé le Riouppezzouliou, près d’Expailly, à un quart de lieue du Puy, des grenats qui sont dans les matières volcanisées…

    Il est singulier que, dans presque tous les pays où l’on a des mines de grenats, tels qu’à Swapawari en Laponie, en Norvège, sur les monts Krapacks en Hongrie, etc., on soit dans la persuasion qu’ils ont presque toujours avec eux des paillettes d’or ou d’argent ; j’approuve fort la raison que donne M. Lehmann de cette croyance. « J’ai imaginé, dit cet habile chimiste, que ce qui a fait croire que les grenats contiennent une assez grande quantité d’or, vient de la pierre talqueuse et luisante qui leur sert de matrice. » Recherches sur les volcans éteints, par M. Faujas de Saint-Fond, p. 184 et suiv.

  4. Boëtius de Boot donne aux grenats de Bohême la préférence sur tous les autres, même sur ceux de l’Orient, à cause de leur pureté et de la vivacité de leur couleur qui, selon lui, résiste au feu. Mais, suivant M. Pott, les grenats, en se fondant au feu, perdent leur transparence et leur couleur rouge. Le même Boëtius dit qu’en Bohême les gens de la campagne trouvent les grenats en morceaux gros comme des pois, répandus dans la terre, sans être attachés à aucune matrice ; ils sont noirs à la surface, et l’on ne peut en reconnaître la couleur qu’en les plaçant entre l’œil et la lumière… Les grenats de Silésie sont ordinairement d’une qualité très médiocre. Encyclopédie, article Grenat.
  5. M. Crantz met le grenat de Groenland dans la classe du quartz, parce qu’il se trouve dans les fentes des rochers quartzeux, en morceaux de grandeur et de formes inégales. Mais, comme il est très dur et d’un rouge transparent qui tire sur le violet, les lapidaires le rangent parmi les rubis. C’est dommage qu’il soit si fragile et qu’on n’en puisse conserver que de la grosseur d’une fève quand on le met en œuvre. Histoire générale des voyages, t. XIX, p. 29.