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Quoique les lapidaires distinguent les grenats en orientaux et occidentaux, il n’en est pas moins vrai que dans tout pays ils sont de même nature, et que cette distinction ne porte que sur la différence d’éclat et de dureté. Les grenats les plus purs et les plus transparents, lorsqu’ils sont polis, sont plus brillants et plus durs, et ont par conséquent plus d’éclat et de jeu que les autres, et ce sont ceux que les lapidaires appellent grenats orientaux ; mais il s’en trouve de pareils dans les régions de l’Occident, comme dans celles de l’Orient ; les grenats de Bohême en particulier sont même souvent plus purs, plus transparents et moins défectueux que ceux qu’on apporte des Indes orientales : il faut néanmoins en excepter le grenat dont le rouge est teint de violet qui nous vient de l’Orient, et se trouve particulièrement à Surian, dans le royaume de Pégu, et auquel on a donné le nom de grenat syrien[1] ; mais ces grenats les plus transparents et les plus purs ne le sont cependant pas plus que le cristal, et ils ont, de même que toutes les autres pierres vitreuses, une double réfraction.

Quoique, dans tous les grenats, le fond de la couleur soit rouge, il s’en trouve, comme l’on voit, d’un rouge pourpré ; d’autres sont mêlés de jaune et ressemblent aux hyacinthes ; ils viennent aussi des Indes orientales[2] : ces grenats teints de violet ou de jaune sont les plus estimés, parce qu’ils sont bien plus rares que les autres, dont le rouge plus clair ou plus foncé est la seule couleur. Les grenats d’Espagne sont communément d’un rouge semblable à celui des pépins de la grenade bien mûrs, et c’est peut-être de cette ressemblance de couleur qu’on a tiré le nom de grenat. Ceux de Bohême sont d’un rouge plus intense[3], et il y en aussi de verdâtres, de bruns et de noirâtres[4] : ces derniers sont les plus opaques et les plus pesants, parce qu’ils contiennent plus de fer que les autres.

  1. Il paraît que le mot syrien vient de Surian, ville capitale du royaume de Pégu. Les Italiens ont donné à ces grenats le nom de rubini di rocca, et cette dénomination n’est pas mal appliquée, parce que les grenats se trouvent en effet dans les roches vitreuses, tandis que les rubis tirent leur origine de la terre limoneuse, et se trouvent isolés dans les terres et les sables.
  2. Le grenat syrien est d’un rouge plus ou moins pourpré, ou chargé de violet, et cette couleur n’est jamais claire. Il y en a de presque violets, mais ils sont rares et n’ont guère cette couleur que lorsque la pierre a un certain volume.

    Quoique le grenat syrien soit assez commun, on en rencontre difficilement de fort gros, purs et parfaits ; en général, la couleur en est rarement franche et décidée ; elle est très souvent sourde et enfumée.

    C’est le grenat syrien, lorsqu’il est vif et bien pourpré, que les fripons et les ignorants font quelquefois passer pour améthyste orientale, ce qui fait croire à des gens peu instruits que cette dernière n’est pas si rare qu’on le dit. Note communiquée par M. Hoppé.

  3. Le grenat de Bohême (appelé vermeil en France) est d’un rouge ponceau foncé, mais pur et velouté. La grande intensité de sa couleur ne permet pas de le tailler à facettes dessus et dessous, comme les autres pierres, car il paraîtrait presque noir ; mais on le cabochonne en dessus et on le chève en-dessous ; cette opération l’amincit assez pour qu’on puisse jouir de sa riche et superbe couleur, et lui donne un jeu grand et large qui enchante l’œil d’un amateur.

    Un grenat de Bohême parfait, d’une certaine grandeur, est une chose extraordinairement rare ; rien de plus commun en très petit volume.

    Les défauts ordinaires des grenats de Bohême sont d’être remplis de points noirs et de petites bulles d’air, comme une composition ; ces petites bulles d’air se rencontrent encore dans d’autres grenats, surtout dans ceux où il entre du jaune.

    Ce que l’on appelle grenat de Bohême, en France, est une pierre très différente de celle dont on vient de parler ; elle est plus claire et d’un rouge vinaigre ou lie de vin légèrement bleuâtre et très rarement agréable. Note communiquée par M. Hoppé.

  4. Le grenat varie par sa couleur ; quelquefois il est du plus beau rouge tirant sur le pourpre, c’est le vrai grenat ; d’autres fois il est d’un rouge jaunâtre et tire sur l’hyacinthe