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émeraudes naissent des pierres en forme de cristaux… J’en ai vu quelques-unes qui étaient moitié blanches et moitié vertes, et d’autres toutes blanches… En l’année 1587, ajoute cet historien, l’on apporta des Indes occidentales en Espagne deux canons d’émeraude, dont chacun pesait pour le moins quatre arobes[1]. » Mais je soupçonne avec raison que ce dernier fait est exagéré ; car Garcilasso dit que la plus grosse pierre de cette espèce, que les Péruviens adoraient comme la déesse mère des émeraudes, n’était que de la grosseur d’un œuf d’autruche, c’est-à-dire d’environ six pouces sur son grand diamètre[2] ; et cette pierre mère des émeraudes n’était peut-être elle-même qu’une prime d’émeraude qui, comme la prime d’améthyste, n’est qu’une concrétion plus ou moins confuse de divers petits canons ou cristaux de ces primes. Au reste, les primes d’émeraude sont communément fort nuageuses, et leur couleur n’est pas d’un vert pur, mais mélangé de nuances jaunâtres : quelquefois, néanmoins, cette couleur verte est aussi franche dans quelques endroits de ces primes que dans l’émeraude même, et Boëce remarque fort bien que, dans un morceau de prime nébuleux et sans éclat[3], il se trouve souvent quelque partie brillante qui, étant enlevée et taillée, donne une vraie et belle émeraude.

Il serait assez naturel de penser que la belle couleur verte de l’émeraude lui a été donnée par le cuivre ; cependant M. Demeste dit[4] « que cette pierre paraît devoir sa couleur verte au cobalt, parce qu’en fondant des émeraudes du Pérou avec deux parties de verre de borax, on obtient un émail bleu[NdÉ 1]. » Si ce fait se trouve constant et général pour toutes les émeraudes, on lui sera redevable de l’avoir observé le premier, et, dans ce cas, on devrait chercher et on pourrait trouver des émeraudes dans le voisinage des mines de cobalt.

Cependant cet émail bleu, que donne l’émeraude fondue avec le borax, ne provient pas

  1. Histoire naturelle des Indes, par Acosta ; Paris, 1600, p. 157 et suiv.
  2. Histoire des Incas, t. Ier. — Du temps des rois Incas, on ne trouvait dans le Pérou que des turquoises, des émeraudes et du cristal fort net, mais que les Indiens ne savaient pas mettre en œuvre. Les émeraudes viennent dans les montagnes qu’on appelle Manta, dépendantes de Puerto-Viejo. Il a été impossible aux Espagnols, quelque peine qu’ils se soient donnée, de découvrir la mine : ainsi, l’on ne trouve presque plus d’émeraudes dans cette province qui fournissait autrefois les plus belles de cet empire. On en a apporté cependant une si grande quantité en Espagne, qu’on ne les estime plus. L’émeraude a besoin de se mûrir comme le fruit ; elle commence par être blanche, ensuite elle devient d’un vert obscur, et commence par se rendre parfaite par un de ses angles qui sans doute regarde le soleil levant, et cette belle couleur se répand ensuite sur toute son étendue. J’en ai vu autrefois dans Cusco d’aussi grosses que de petites noix, parfaitement rondes et percées dans le milieu : les Indiens les préfèrent aux turquoises. Ils connaissaient les perles, mais ils n’en faisaient aucun usage, car les Incas, ayant vu la peine et le danger avec lesquels on les tirait de la mer, en défendirent l’usage, aimant mieux conserver leurs sujets qu’augmenter leurs richesses. On en a pêché une si grande quantité qu’elles sont devenues communes. Le P. Acosta dit qu’elles étaient autrefois si recommandables qu’il n’était permis qu’aux rois et à leur famille d’en porter, mais qu’elles sont aujourd’hui si communes que les nègres en ont des chaînes et des colliers. Histoire des Incas ; Paris, 1744, t. II, p. 289 et suiv.
  3. Il dit de prase, mais il est clair que sa prase est la prime : « Prasius… mater smaragdi multis putaturet non immeritò, quòd aliquandò in eâ reperiatur etiamsi non semper ; nam quæ partes viridiores absque flavedine et perspicuæ in prasio reperiuntur, smaragdi ritè appellari possunt, ut illi quorum flavedo aurea est, Chrysoprasii. » Gemm. et lapid. Hist., p. 23.
  4. Lettres de M. Demeste, t. Ier, p. 426.
  1. C’est, en réalité, à l’oxyde de chrome que les émeraudes du Brésil doivent leur belle coloration verte.