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sont en même temps réfractés au sortir de la pierre, sous des angles divers et relatifs à la position des lames qui les renvoient, et ce qui prouve que ces couleurs mobiles et fugitives, qui suivent l’œil et dépendent de l’angle qu’il fait avec la lumière, ne sont que des iris ou spectres colorés, c’est qu’en cassant la pierre, elle n’offre plus dans sa fracture ces mêmes couleurs dont le jeu varié tient à sa structure intérieure, et s’accroît par la forme arrondie qu’on lui donne à l’extérieur. L’opale est donc une pierre irisée dans toutes ses parties ; elle est même la plus légère des pierres chatoyantes, et de près d’un cinquième moins dense que le feldspath, qui de tous les verres primitifs est le moins pesant[1] ; elle n’a aussi que peu de dureté[2] ; il faut donc que les petites lames dont l’opale est composée soient peu adhérentes et assez séparées les unes des autres, pour que sa densité et sa dureté en soient diminuées dans cette proportion de plus d’un cinquième relativement aux autres matières vitreuses.

Une opale d’un grand volume, dans toutes les parties de laquelle les couleurs brillent et jouent avec autant de feu que de variété[3], est une production si rare qu’elle n’a plus qu’un prix d’estime qu’on peut porter très haut. Pline nous dit qu’Antoine proscrivit un sénateur auquel appartenait une très belle opale qu’il avait refusé de lui céder ; sur quoi, le naturaliste romain s’écrie avec une éloquente indignation : « De quoi s’étonner ici davantage, de la cupidité farouche du tyran qui proscrit pour une bague, ou de l’inconcevable passion de l’homme qui tient plus à sa bague qu’à sa vie[4] ? »

On peut encore juger de l’estime que faisaient les anciens de l’opale, par la scrupuleuse attention avec laquelle ils en ont remarqué les défauts, et par le soin qu’ils ont pris d’en caractériser les belles variétés[5]. L’opale en offre beaucoup, non seulement par les différences du jeu de la lumière, mais encore par le nombre des nuances et la diversité des couleurs qu’elle réfléchit[6] : il y a des opales à reflets faiblement colorés, où sur un fond laiteux flottent à peine quelques légères nuances de bleu. Dans ces pierres nua-

  1. La pesanteur spécifique de l’opale est de 21 140, et celle du feldspath le plus léger de 23 378. Table de M. Brisson.
  2. L’opale est si tendre que, pour la polir, on ne peut, suivant Boëce, employer ni l’émeri ni la potée, et qu’on ne doit se servir que de tripoli étendu sur une roue de bois.
  3. Les plus grandes, dit Pline, ne dépassent pas la grosseur d’une aveline, nucis avellanæ magnitudine. Lib. xxxvii, cap. vi.
  4. « Sed mira Antonii feritas atque luxuria propter gemmam proscribentis, nec minor Nonii contumacia proscriptionem suam amantis. » Lib. xxxvii, cap. vi.
  5. « Vita opali, si color in florem herbæ, quæ vocatur heliotropium exeat, aut cristallum aut grandinem : si sal interveniat aut scabritia aut puncta oculis occursantia, nullosque magis India similitudine indiscreta vitro adulterat. Experimentum in sole tantùm ; falsis enim contra radios libratis, digito ac pollice unus atque idem translucet color in se consumptus. Veri fulgor subindè variat et plùs huc illucque spargit, et fulgor lucis in digitos funditur. Hanc gemmam propter eximiam gratiam plerique appellavere pæderata. Sunt et qui privatum genus ejus faciunt, sangenonque, ab Indis vocari dicunt. Traduntur nasci et in Ægypto et in Arabiâ et vilissimi in Ponto. Item in Galatiâ ac Thaso et Cypro. Quippe opali gratiam habet, sed molliùs nitet, rarò non scabet. » Idem, ibid.
  6. On connaît quatre sortes d’opales : la première, très parfaite et qui imite naïvement l’iris par le moyen de ces couleurs-ci : le rouge, le vert, le bleu, le pourpre et le jaune ; la seconde, qui, au travers d’une certaine noirceur, envoie un feu et un éclat d’escarboucle, qu’on sait très rare et très précieuse ; la troisième, qui, aussi au travers d’un jaune, fait paraître diverses couleurs, mais peu gaies et comme amollies ; et la quatrième sorte, celle qu’on nomme fausse opale, laquelle est diaphane et semblable aux yeux du poisson… La couleur des plus belles opales est un blanc de lait, parmi lequel il éclate du rouge, du vert, du bleu, du jaune, du colombin et plusieurs autres couleurs différentes qui dedans ce blanc surprennent agréablement la vue ; d’où je conclurais facilement que c’est de cette sorte que