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Ce beau feldspath s’est trouvé produit et répandu dans des blocs de rocher que l’on a attaqués pour paver la route de Pétersbourg à Péterhoff ; la masse de cette roche est une concrétion vitreuse dans laquelle le schorl domine, et où l’on voit le feldspath formé en petites tables obliquement inclinées, ou en rhombes cristallisés d’une manière plus ou moins distincte. On le reconnaît au jeu de ses couleurs chatoyantes, dont les reflets bleus et verts deviennent plus vifs et sont très aimables à l’œil, lorsque cette pierre est taillée et polie : elle a plus de densité que le feldspath blanc ou rouge[1] ; ce feldspath vert a donc pris ce surplus de densité par le mélange du schorl, et probablement du schorl vert qui est le plus pesant de tous les schorls[2].

Au reste, cette belle pierre chatoyante, qui était très rare, le deviendra moins d’après la découverte que l’on vient d’en faire en Russie ; et peut-être est-elle la même que ce feldspath verdâtre dont parle Wallerius et qu’il dit se trouver dans les mines d’or de Hongrie et dans quelques endroits de la Suède.


ŒIL DE CHAT

Les pierres auxquelles on a donné ce nom sont toutes chatoyantes, et varient non seulement par le jeu de la lumière et par les couleurs, mais aussi par le dessin plus ou moins régulier des cercles ou anneaux qu’elles présentent. Les plus belles sont celles qui ont des teintes d’un jaune vif ou mordoré avec des cercles bien distincts ; elles sont très rares et fort estimées des Orientaux[3] : celles qui n’ont point de cercles et qui sont grises ou brunes n’ont que peu d’éclat et de valeur ; on trouve celles-ci en Égypte, en Arabie, etc., et les premières à Ceylan. Pline paraît désigner le plus bel œil de chat sous le nom de leucophtalmos, « lequel, dit-il, avec la figure du globe blanc et la prunelle noir d’un œil, brille d’ailleurs d’une lumière enflammée[4]. » Et dans une autre notice où cette même

  1. La pesanteur spécifique du feldspath de Russie ou pierre de Labrador est de 26 925 ; celle du feldspath blanc de 24 378 ; et celle du feldspath en cristaux rouges, de 26 466. Table de M. Brisson.
  2. La pesanteur spécifique du schorl olivâtre ou vert est de 34 519. Même table.
  3. Les pierres précieuses dont on fait le plus de cas dans l’île de Ceylan, et parmi les Maures et les Gentils, sont les yeux de chat ; on ne les connaît presque point en Europe. J’en vis une de la grosseur d’un œuf de pigeon au bras du prince d’Ura lorsqu’il vint nous voir. Cette pierre était toute ronde et faite comme une grosse balle d’arquebuse : ces pierres pèsent plus que les autres ; on ne les travaille jamais, et on se contente de les laver. Il semble que la nature ait pris plaisir de ramasser dans cette pierre toutes les plus belles et les plus vives couleurs que la lumière puisse produire, et que ces couleurs forment un combat entre elles à qui l’emportera pour l’éclat et pour le brillant, sans que pas une ait l’avantage sur l’autre ; selon qu’on les regarde et pour peu qu’on change de situation et qu’on remue cette pierre, on voit briller une autre couleur, en sorte que l’œil ne peut distinguer de quelle manière se fait ce changement : de là vient qu’on appelle ces pierres œil de chat ; outre qu’elles ont des raies couchées l’une contre l’autre, ce qui fait diversité de couleurs, comme véritablement on voit que tous les yeux de chat brillent et paraissent de différentes couleurs sans qu’ils se retournent ou qu’ils se remuent. Ces raies ou fils qui sont dans les yeux de chat ne sont jamais en nombre pair ; il y en a trois, cinq ou sept. Histoire de Ceylan, par Jean Ribeyro, 1701, p. 9.
  4. « Leucophtalmos rutila aliàs, oculi speciem candidam nigramque continet. » Histoire naturelle, lib. xxxvii, no 62.