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et même en France, ne sont de même que des cristaux teints d’un vert bleuâtre ou d’un bleu verdâtre : on rencontre aussi des cristaux verts en Dauphiné, et d’autres bruns et même noirs ; ces derniers sont entièrement obscurs : et toutes ces couleurs proviennent des parties métalliques dont ces cristaux sont imprégnés, particulièrement de celles du fer contenu dans les granits et les quartz mixtes ou colorés dont ces stalactites quartzeuses tirent leur origine.

De tous les cristaux blancs, celui de Madagascar est le plus beau et le plus également transparent dans toutes ses parties ; il est un peu plus dur que nos cristaux d’Europe, dans lesquels néanmoins on remarque aussi quelque différence pour la dureté ; mais nous ne connaissons ce très beau cristal de Madagascar qu’en masses arrondies et de plusieurs pouces de diamètre ; celui qui nous est venu du même pays, et qui est en prisme à double pointe, n’est pas aussi beau et ressemble plus à nos cristaux d’Europe, dans lesquels la transparence n’est pas aussi limpide, et qui souvent sont nuageux et présentent tous les degrés de la transparence plus ou moins nette dans les cristaux blancs, jusqu’à la pleine opacité dans les cristaux bruns ou noirs.

Lorsque l’on compare les petites aiguilles naissantes du cristal, qu’on aperçoit à peine dans les cailleux creux, avec les grosses quilles qui se forment dans les cavités des rochers quartzeux et graniteux[1], on ne peut s’empêcher d’admirer dans cette cristallisation la constance et la régularité du travail de la nature qui, néanmoins, n’agit ici qu’en opérant à la surface, c’est-à-dire dans deux dimensions : la plus grande quille ou aiguille de cristal est de la même forme que la plus petite ; la réunion des lames presque infiniment minces dont il est composé se faisant par la même loi, la forme demeure toujours la même si rien ne trouble l’arrangement de leur agrégation. Cette méthode de travail est même la seule que la nature emploie pour augmenter le volume des corps bruts : c’est par juxtaposition, et en ajoutant pour ainsi dire surfaces à surfaces, qu’elle place les lames très minces dont est composée toute cristallisation, toute agrégation régulière ; elle ne travaille donc que dans deux dimensions, au lieu que, dans le développement des êtres organisés, elle agit dans les trois dimensions à la fois, puisque le volume et la masse augmentent tous deux et conservent la même forme et les mêmes proportions, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. L’aiguille naissante d’un cristal ne peut grandir et grossir que par des additions superficielles, et par la superposition de nouvelles lames minces semblables à celles dont la première aiguille est composée, et qui s’arrangent dans le même ordre, en sorte que cette petite aiguille réside dans la plus grosse sans avoir pris la moindre extension, tandis que le germe d’un corps organisé s’étend en tout sens par la nutrition et prend de l’augmentation dans toutes ses dimensions et dans sa masse comme dans son volume.

Il est certain que le cristal ne se forme que par l’intermède de l’eau, et l’on peut en donner des preuves évidentes ; il y a des cristaux qui contiennent de l’eau, d’autres renferment du mica, du schorl, des particules métalliques, etc. : d’ailleurs, le cristal se forme comme le spath calcaire et, comme toutes les autres stalactites, il n’en diffère que par sa nature vitreuse et par sa figuration ; il présente souvent les apparences de mousses et de végétations dont la plupart néanmoins ne sont pas des substances réelles, mais de simples fentes ou cavités vides de toute autre matière[2] ; souvent on trouve des cristaux encroûtés, c’est-à-dire dont les surfaces sont chargées de matières étrangères et surtout de terre fer-

  1. M. Bertrand rapporte, dans son Ditionnaire universel des fossiles, qu’on a trouvé près de Visbach, dans le haut Valais, à neuf ou dix lieues de Sion, une quille de cristal du poids de douze quintaux ; elle avait sept pieds de circonférence et deux pieds et demi de hauteur.
  2. Voyez le Mémoire lu par M. Daubanton, de l’Académie des sciences, en avril 1782.