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frottement[1] ; il y a donc dans le cristal de roche alternativement des couches contiguës de différente dureté, dont l’une a été moins usée que l’autre par le même frottement, puisque alternativement les unes de ces couches sont plus élevées et les autres plus basses sur la surface polie.

Mais de quelle nature est cette matière moins dense et moins dure des tranches alternatives du cristal ? Comme il n’est guère possible de la recueillir séparément, l’un de nos savants académiciens, M. l’abbé de Rochon, m’a dit qu’ayant réduit du cristal de roche en poudre très fine par le seul frottement d’un morceau de cristal contre un autre morceau, cette poudre s’est trouvée contenir une portion assez considérable de fer attirable à l’aimant. Ce fait m’a paru singulier et demande au moins d’être confirmé et vérifié sur plusieurs cristaux ; car il se pourrait que ceux qui se forment dans les cailloux et autres matières où le quartz est mêlé avec des substances ferrugineuses, ou même avec des matières vitreuses colorées par le fer, en continssent une petite quantité ; mais je doute que les cristaux qui sortent du quartz pur en soient mêlés ni même imprégnés, ou bien le quartz même contiendrait aussi une certaine quantité de fer, ce que j’ai bien de la peine à croire, quoique la chose ne soit pas impossible, puisque le fer a été formé presque en même temps que les verres primitifs et qu’il s’est mêlé avec les jaspes, les feldspaths, les schorls et même avec les quartz dont quelques-uns sont colorés de jaune ou de rougeâtre.

Quoi qu’il en soit, la lumière, qui pénètre tous les corps transparents et en sort après avoir subi des réfractions et des dispersions, est l’instrument le plus délié, le scalpel le plus fin par lequel nous puissions recruter l’intérieur des substances qui la reçoivent et la transmettent ; et, comme cet instrument ne s’applique point aux matières opaques, nous pouvons mieux juger de la composition intérieure des substances transparentes que de la texture confuse des matières opaques où tout est mélangé, confondu sans apparence d’ordre ni de régularité, soit dans la position, soit dans la figure des parties intégrantes qui sont souvent différentes ou différemment posées, sans qu’on puisse le reconnaître autrement que par leurs différents extraits lorsqu’ils prennent de la transparence, c’est-à-dire de l’ordre dans la position de leurs parties similaires, et de l’homogénéité par leur réunion sans mélange.

C’est dans les cavités et les fentes de tous les quartz purs ou mélangés que le cristal se forme, soit par l’exsudation de leur vapeur humide, soit par le suintement de l’eau qui les a pénétrés ; les granits, les quartz mixtes, les cailloux et toutes les matières vitreuses de seconde formation produisent des cristaux de couleurs différentes : il y en a de rouges, de jaunes et de bleus auxquels on a donné les noms de rubis, de topaze et de saphir, aussi improprement que l’on applique le nom de diamant aux cristaux blancs qui se trouvent à Alençon, à Bristol et dans d’autres lieux où ces cristaux blancs ont été déposés après avoir été roulés et entraînés par les eaux. Les améthystes violettes et pourprées qu’on met au nombre des pierres précieuses ne sont néanmoins que des cristaux teints de ces belles couleurs : on trouve les premiers en Auvergne, en Bohême, etc., et les seconds en Catalogne. Les topazes, dites occidentales, et que l’on trouve en Bohême, en Suisse et dans d’autres contrées de l’Europe, ne sont de même que des cristaux jaunes : l’hyacinthe, dite de Compostelle, est un cristal d’un jaune plus rougeâtre. Les pierres auxquelles on donne le nom d’aigues marines occidentales, et qui se trouvent en plusieurs endroits de l’Europe,

  1. M. l’abbé de Rochon a démontré cette inégalité de dureté dans les tranches du cristal de roche, en mettant sur la surface polie de ce cristal un verre objectif d’un long foyer. Si la surface du cristal était parfaitement plane et sans sillons, les anneaux colorés produits par ce moyen seraient réguliers, comme ils le sont quand on met un objectif sur un autre verre plan et poli ; mais les anneaux colorés sont toujours irréguliers sur le cristal le mieux poli, ce qui ne peut provenir que des inégalités de sa surface.