Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/477

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nées, suivant la dimension transversale de la base hexagone, qui paraît être la surface d’appui sur laquelle se forment les pointes pyramidales. Cette figuration irrégulière et déformée, cette inégalité entre l’étendue et l’inclinaison respective des faces du cristal, ne doit être attribuée qu’aux obstacles environnants, qui souvent l’empêchent de se former en toute liberté dans un espace assez étendu et assez libre pour qu’il y prenne sa forme naturelle.

Les cristaux grands et petits sont ordinairement tous figurés de même ; et rien ne démontre mieux que leur forme essentielle est celle d’une ou deux pyramides à six faces que les aiguilles du cristal naissant dans les cailloux creux : elles sont d’abord si petites qu’on ne les aperçoit qu’à la loupe, et dans cet état de primeur, elles n’offrent que leur pointe pyramidale, qui se conserve en grandissant toujours dans les mêmes proportions ; néanmoins, l’accroissement de cette matière brute ne se fait que par juxtaposition et non par intussusception, ou par nutrition comme dans les êtres organisés ; car la première pyramide n’est point un germe qui puisse se développer et s’étendre proportionnellement dans toutes ses dimensions extérieures et intérieures par la nutrition, c’est seulement une base figurée sur laquelle s’appliquent de tous côtés les parties similaires, sans en pénétrer ni développer la masse ; et ces parties constituantes du cristal étant des lames presque infiniment minces et de figure triangulaire, leur agrégat conserve cette même figure triangulaire dans la portion pyramidale ; or, quatre de ces lames triangulaires, en s’unissant par la tranche, forment un carré, et six formeront un hexagone : ainsi la portion prismatique à six faces de la base de cristal est composée de lames triangulaires comme la partie pyramidale.

Quoique la substance du cristal paraisse continue et assez semblable à celle du beau verre blanc, et quoiqu’on ne puisse distinguer à l’œil la forme de ses parties constituantes, il est néanmoins certain que le cristal est composé de petites lames qui sont à la vérité bien moins apparentes que dans d’autres pierres, mais qui nous sont également démontrées par le fil, c’est-à-dire par le sens dans lequel on doit attaquer les pierres pour les tailler ; or le fil et le contre-fil se reconnaissent dans le cristal de roche, non seulement par la plus ou moins grande facilité de l’entamer, mais encore par la double réfraction qui s’exerce constamment dans le sens du fil et qui n’a pas lieu dans le sens du contre-fil : ce dernier sens est celui dans lequel les lames forment continuité et ne peuvent se séparer, tandis que le premier sens est celui dans lequel ces mêmes lames se séparent le plus facilement ; elles sont donc réunies de si près dans le sens du contre-fil qu’elles forment une substance homogène et continue, tandis que dans le sens du fil elles laissent entre elles un intervalle rempli d’une matière de densité différente qui produit la seconde réfraction.

Et ce qui prouve que cet intervalle entre les lames n’est pas vide et qu’il est rempli d’une substance un peu moins dense que celle des lames, c’est que les images produites par les deux réfractions ne diffèrent que peu par leur grandeur et leur intensité de couleurs ; la longueur du spectre solaire est 19 dans la première réfraction, et 18 dans la seconde ; il en est de même de la largeur de l’image, et il en est encore de même de l’intensité des couleurs, qui se trouvent affaiblies dans la même proportion : quelque pure que nous paraisse donc la substance du cristal, elle n’est pas absolument homogène ni d’égale densité dans toutes ses parties. La lumière différemment réfractée semble le démontrer, d’autant que nous verrons, en traitant des spaths calcaires, qu’ils sont plus ou moins mélangés de substances de densité différente.

Un autre fait par lequel on peut encore prouver que le cristal est composé de deux matières de différente densité, c’est que ses surfaces polies avec le plus grand soin ne laissent pas de présenter des sillons, c’est-à-dire des éminences et des profondeurs alternatives dans toute l’étendue de leur superficie ; or, la partie creuse de ces sillons est certainement composée d’une matière moins dure que la partie haute, puisqu’elle a moins résisté au