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poitrine[1], et cependant ils ne prennent pas pour éviter ce mal toutes les précautions nécessaires ; d’abord il s’élève assez souvent des vapeurs arsenicales dans les souterrains des mines dès qu’on y fait du feu ; et, de plus, c’est en faisant au marteau des tranchées dans la roche du minéral pour le séparer et l’enlever en morceaux qu’ils respirent cette poussière arsenicale qui les tue comme poison, et les incommode comme poussière ; car nos tailleurs de pierre de grès sont très souvent malades du poumon, quoique cette poussière de grès n’ait pas d’autres mauvaises qualités que sa très grande ténuité ; mais, dans tous les usages, dans toutes les circonstances où l’appât du gain commande, on voit avec plus de peine que de surprise la santé des hommes comptée pour rien, et leur vie pour peu de chose.

L’arsenic, qui malheureusement se trouve si souvent et si abondamment dans la plupart des mines métalliques, y est presque toujours en sel cristallin ou en poudre blanche ; il ne se trouve guère que dans les volcans agissants ou éteints, sous la forme d’orpiment ou de réalgar ; on assure néanmoins qu’il y en a dans les mines de Hongrie, à Kremnitz, à Newsol, etc. La substance de ces arsenics mêlés de soufre est disposée par lames minces ou feuillets, et par ce caractère on peut toujours distinguer l’orpiment naturel de l’artificiel dont le tissu est plus confus. Le réalgar est aussi disposé par feuillets, et ne diffère de l’orpiment jaune que par sa couleur rouge ; il est encore plus rare que l’orpiment ; et ces deux formes sous lesquelles se présente l’arsenic ne sont pas communes, parce qu’elles ne proviennent que de l’action du feu ; et l’orpiment et le réalgar n’ont été formés que par celui des volcans ou par des incendies de forêts, au lieu que l’arsenic se trouve en grande quantité sous d’autres formes dans presque toutes les mines, et surtout dans celles du cobalt.

Pour recueillir l’arsenic et en éviter en même temps les vapeurs funestes, on construit des cheminées inclinées et longues de vingt à trente toises au-dessus des fourneaux où l’on travaille la mine de cobalt, et l’on a observé que l’arsenic qui s’élève le plus haut est aussi le plus pur et le plus corrosif : pour ramasser sans danger cette poudre pernicieuse, il faut se couvrir la bouche et le nez, et ne respirer l’air qu’à travers une toile ; et, comme cette poudre arsenicale se dissout dans les graisses et les huiles aussi bien que dans l’eau, et qu’une très petite quantité suffit pour causer les plus funestes effets, la fabrication devrait en être défendue et le commerce proscrit.

Les chimistes, malgré le danger, n’ont pas laissé que de soumettre cette poudre arsenicale à un grand nombre d’épreuves pour la purifier et la convertir en cristaux ; ils la mettent dans des vaisseaux de fer exactement fermés où elle se sublime de nouveau sur le feu.

Les vapeurs s’attachent au haut du vaisseau en cristaux blancs et transparents comme du verre, et, lorsqu’ils veulent faire de l’arsenic jaune ou rouge semblable au réalgar et à l’orpiment, ils mêlent cette poudre d’arsenic avec une certaine quantité de soufre pour les sublimer ensemble : la matière sublimée devient jaune comme l’orpiment ou rouge comme le réalgar, selon la plus ou moins grande quantité de soufre qu’on y aura mêlée. Enfin, si l’on fond de nouveau ce réalgar artificiel, il deviendra transparent et d’un rouge de rubis. Le réalgar naturel n’est qu’à demi transparent, souvent même il est opaque et ressemble beaucoup au cinabre. Ces arsenics jaunes et rouges sont, comme l’on voit,

  1. C’est à cette substance dangereuse qu’est due la phtisie, et ces exulcérations des poumons qui font périr à la fleur de l’âge les ouvriers qui travaillent aux mines. Parmi eux, un homme de trente-cinq à quarante ans est déjà dans la décrépitude, ce qu’on doit surtout attribuer aux mines qu’ils détachent avec le ciseau et le maillet, et qu’ils respirent perpétuellement par la bouche et par le nez ; il paraît que si, dans ces mines, on faisait usage de la poudre à canon pour détacher le minerai, les jours de ces malheureux ouvriers ne seraient point si indignement prodigués. (Encyclopédie, article Orpiment.)