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tion, tandis que toute action contraire qui ne s’exerce que pour séparer, diviser et pénétrer les parties constituantes des corps, provient de cet élément qui, par sa force expansive, agit toujours en sens contraire de la puissance attractive, et seul peut séparer ce qu’elle a réuni, résoudre ce qu’elle a combiné, liquéfier ce qu’elle a rendu solide, volatiliser ce qu’elle tenait fixe, rompre en un mot tous les liens par lesquels l’attraction universelle tiendrait la nature enchaînée et plus qu’engourdie, si l’élément de la chaleur et du feu qui pénètre jusque dans ses entrailles n’y entretenait le mouvement nécessaire à tout développement, toute production et toute génération.

Mais, pour ne parler ici que du règne minéral, le grand altérateur, le seul minéralisateur primitif est donc le feu ; le soufre, le foie de soufre, l’arsenic et tous les sels ne sont que ses instruments : toute minéralisation n’est qu’une altération par division, dissolution, volatilisation, précipitation, etc. Ainsi les minéraux ont pu être altérés de toutes manières, tant par le mélange des matières passives dont ils sont composés que par la combinaison de ces puissances animées par le feu, qui les ont plus ou moins travaillés, et quelquefois au point de les avoir presque dénaturés.

Mais pourquoi, me dira-t-on, cette minéralisation qui, selon vous, n’est qu’une altération, se porte-t-elle plus généralement sur les matières métalliques que sur les matières terreuses ? De quelle cause, en un mot, ferez-vous dépendre ce rapport si marqué entre le minéralisateur et le métal ? Je répondrai que, comme le feu primitif a exercé toute sa puissance sur les matières qu’il a vitrifiées, il les a dès lors mises hors d’atteinte aux petites actions particulières que le feu peut exercer encore par le moyen des sels sur les matières qui ne se sont pas trouvées assez fixes pour subir la vitrification ; que toutes les substances métalliques, sans même en excepter celle de l’or, étant susceptibles d’être sublimées par l’action du feu, elles se sont séparées de la masse des matières fixes qui se vitrifiaient ; que ces vapeurs métalliques, reléguées dans l’atmosphère tant qu’a duré l’excessive chaleur du globe, en sont ensuite descendues et ont rempli les fentes du quartz et autres cavités de la roche vitreuse et que, par conséquent, ces matières métalliques ayant évité par leur fuite et leur sublimation la plus grande action du feu, il n’est pas étonnant qu’elles ne puissent éprouver aucune altération par l’action secondaire de la petite portion particulière du feu contenu dans les sels ; tandis que les substances calcaires, n’ayant été produites que les dernières et n’ayant pas subi l’action du feu primitif, sont, par cette raison, très susceptibles d’altération par l’action de nos feux et par le foie de soufre dans lequel la substance du feu est réunie avec l’alcali.

Mais c’est assez nous arrêter sur cet objet général de la minéralisation qui s’est présenté avec l’arsenic, parce que ce sel âcre et corrosif est l’un des plus puissants minéralisateurs par l’action qu’il exerce sur les métaux ; non seulement il les altère et les minéralise dans le sein de la terre, mais il en corrompt la substance ; il s’insinue et se répand en poison destructeur dans les minéraux comme dans les corps organisés ; allié avec l’or et l’argent en très petite quantité, il leur enlève l’attribut essentiel à tout métal en leur ôtant toute ductilité, toute malléabilité ; il produit le même effet sur le cuivre ; il blanchit le fer plus que le cuivre, sans cependant le rendre aussi cassant ; il donne de même beaucoup d’aigreur à l’étain et au plomb, et il ne fait qu’augmenter celle de tous les demi-métaux ; il en divise donc encore les parties lorsqu’il n’a plus la puissance de les corroder ou détruire ; quelque épreuve qu’on lui fasse subir, en quelque état qu’on puisse le réduire, l’arsenic ne perd jamais ses qualités pernicieuses : en régule, en fleurs, en chaux, en verre, il est toujours poison ; sa vapeur seule reçue dans les poumons suffit pour donner la mort, et l’on ne peut s’empêcher de gémir en voyant le nombre des victimes immolées, quoique volontairement, dans les travaux des mines qui contiennent de l’arsenic : ces malheureux mineurs périssent presque tous au bout de quelques années, et les plus vigoureux sont bientôt languissants ; la vapeur, l’odeur seule de l’arsenic leur altère la