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autres sels. Toutes les chaux métalliques donnent au verre de la couleur ; l’arsenic ne leur en donne aucune et ressemble encore, par cet effet, aux salins qu’on mêle avec le verre. Ces seuls faits sont, ce me semble, plus que suffisants pour démontrer que cet arsenic blanc n’est point une chaux métallique ni demi-métallique, mais un vrai sel[NdÉ 1] dont la substance active est d’une nature particulière et différente de celle de l’acide et de l’alcali.

Cet arsenic blanc, qui s’élève par sublimation dans la fonte des mines, n’était guère connu des anciens[1], et nous ne devons pas nous féliciter de cette découverte, car elle a fait plus de mal que de bien ; on aurait même dû proscrire la recherche, l’usage et le commerce de cette matière funeste, dont les lâches scélérats n’ont que trop la facilité d’abuser : n’accusons pas la nature de nous avoir préparé des poisons et des moyens de destruction ; c’est à nous-mêmes, c’est à notre art ingénieux pour le mal qu’on doit la poudre à canon, le sublimé corrosif, l’arsenic blanc, tout aussi corrosif. Dans le sein de la terre, on trouve du soufre et du salpêtre, mais la nature ne les avait pas combinés comme l’homme pour en faire le plus grand, le plus puissant instrument de la mort ; elle n’a pas sublimé l’acide marin avec le mercure pour en faire un poison ; elle ne nous présente l’arsenic que dans un état où ses qualités funestes ne sont pas développées ; elle a rejeté, recélé ces combinaisons nuisibles, en même temps qu’elle ne cesse de faire des rapprochements utiles et des unions prolifiques ; elle garantit, elle défend, elle conserve, elle renouvelle et tend toujours beaucoup plus à la vie qu’à la mort.

L’arsenic, dans son état de nature, n’est donc pas un poison comme notre arsenic factice[2] ; il s’en trouve de plusieurs sortes et de différentes formes, et de couleurs diverses dans les mines métalliques. Il s’en trouve aussi dans les terrains volcanisés, sous une forme différente de toutes les autres et qui provient de son union avec le soufre ; on a donné à cet arsenic le nom d’orpiment lorsqu’il est jaune, et celui de réalgar quand il est rouge : au reste, la plupart des mines d’arsenic, noires et grises, sont des mines de cobalt mêlées d’arsenic ; cependant, M. Bergman assure qu’il se trouve de l’arsenic vierge en Bohême, en Hongrie, en Saxe, etc., et que cet arsenic vierge contient toujours du fer[3]. M. Monnet dit aussi qu’il s’en trouve en France, à Sainte-Marie-aux-Mines, et que cet arsenic vierge est une substance des plus pesantes et des plus dures que nous connaissions, qui ne se brise que difficilement et qui présente dans sa fracture fraîche un grain brillant semblable à celui de l’acier, qu’il prend le poli et le brillant métallique du fer, que son éclat se ternit bien vite à l’air, qu’il se dissout dans les acides, etc.[4]. Si

  1. La seule indication précise que l’on ait sur l’arsenic se trouve dans un passage d’Avicenne, qui vivait dans le xie siècle : M. Bergman cite ce passage, par lequel il paraît qu’on ne connaissait pas alors l’arsenic blanc sublimé.
  2. Hoffmann assure, d’après plusieurs expériences, que l’orpiment et le réalgar naturels ne sont pas des poisons comme l’arsenic jaune et l’arsenic rouge artificiels. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Arsenic.
  3. Opuscules chimiques, t. II, p. 278 et 284.
  4. M. Monnet ajoute que l’arsenic vierge, dans des vaisseaux fermés, se sublime sans qu’il soit besoin d’y rien ajouter ; que, combiné avec tous les autres métaux, il donne toujours un régule… « Une propriété de l’arsenic vierge, dit-il, est de s’enflammer, soit qu’on le fasse toucher à des charbons ou à la flamme ; il brûle paisiblement, en répandant une épaisse fumée qui se condense contre les corps froids en un sublimé blanc ;… et, lorsque l’arsenic qui brûle est entièrement consumé, il reste un peu de scorie terreuse et ferrugineuse… »

    Le lieu où l’on trouve le plus d’arsenic vierge est Sainte-Marie-aux-Mines ; il est assez rare partout ailleurs : dans les années 1755 et 1760, il se trouva à Sainte-Marie-aux-Mines une si grande quantité d’arsenic vierge que, pendant plusieurs jours, on en tirait des quintaux entiers… Dans les autres mines, comme dans celles de Freyberg, de Saint-Andreasberg-

  1. C’est un oxyde d’arsenic.