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que le platine est un métal sui generis, et non pas un simple mélange d’or et de fer, il n’ose malgré cela prononcer affirmativement ni l’un ni l’autre, et que, quoique le platine ait des propriétés différentes de celles de tous les autres métaux connus, il sait trop combien nous sommes éloignés de connaître sa véritable nature. »

Au reste, M. Bowles termine ce chapitre sur le platine par quelques observations intéressantes : « Le platine, dit-il, que je dois au célèbre don Antonio de Ulloa, est une matière qui se rencontre dans des mines qui contiennent de l’or ; elle est unie si étroitement avec ce métal qu’elle lui sert comme de matrice, et que ce n’est qu’avec beaucoup d’efforts et à grands coups qu’on parvient à les séparer ; en sorte que, si le platine abonde à un certain point dans une mine, on est forcé de l’abandonner, parce que les frais et les travaux nécessaires pour faire la séparation des deux métaux absorberaient le profit.

» Les seules mines d’où l’on tire le platine sont celles de la Nouvelle-Grenade, et en particulier celles de Choco et de Barbacoa sont les plus riches. Il est remarquable que cette matière ne se trouve dans aucune autre mine, soit du Pérou, soit du Chili, soit du Mexique. Au reste, le platine se trouve dans les susdites mines, non seulement en masse, mais aussi en grains séparés comme grains de sable. Enfin il faut être réservé à tirer des conséquences trop générales des expériences qu’on aurait faites sur celles d’un autre endroit des mêmes mines… : remarquant, continue M. Bowles, que le platine contenait du fer, et que le cobalt en contient aussi, qu’on trouve beaucoup de grains d’or couleur de suie mêlés avec le platine, que cette espèce nouvelle de sable métallique est unique dans le monde, qu’elle se trouve en abondance dans une montagne aux environs d’une mine d’or, et qu’il y a beaucoup de volcans dans ce pays, je me suis persuadé que la montagne renferme du cobalt, comme celle de la vallée de Gistan, dans les Pyrénées d’Aragon, que le feu d’un volcan aura fait évaporer l’arsenic et aura formé quelque chose de semblable au régule de cobalt ; que ce régule se fond et se mêle avec l’or, quoiqu’il contienne du fer, que le feu, appliqué pendant un grand nombre de siècles, privant la matière de sa fusibilité, aura formé ce sable métallique… ; que les grains d’or de forme irrégulière et de couleur de suie sont aussi l’effet du feu d’un volcan lorsqu’il s’éteint ; que les grains de platine qui contractent adhérence, à cause de la couche légère de fer étendue à leur surface, sont le résultat de la décomposition du fer dans le grand nombre de siècles qui se sont écoulés depuis que le volcan s’est éteint ; et que ceux qui n’ont point cette couche ferrugineuse n’ont point eu assez de temps depuis l’extinction du volcan pour l’acquérir. Cela paraîtra un songe à plusieurs ; mais je suis le grand argument de M. de Buffon[1]. » M. Bowles a raison de dire qu’il suit mon grand argument : cet argument consiste en effet en ce que le platine n’est point, comme les métaux, un produit primitif de la nature, mais une simple production accidentelle qui ne se trouve qu’en deux endroits dans le monde entier ; que cet accident, comme je l’ai dit, a été produit par le feu des volcans, et seulement sur des mines d’or mêlées de fer, tous deux dénaturés par l’action continue d’un feu très violent ; qu’à ce mélange de fer et d’or il se sera joint quelques vapeurs arsenicales qui auront fait perdre à l’or sa ductilité, et que de ces combinaisons très naturelles, et cependant accidentelles, aura résulté la formation du platine. Ces dernières observations de M. Bowles, loin d’infirmer mon opinion, semblent au contraire la confirmer pleinement ; car elles indiquent, dans le platine, non seulement le mélange du fer, mais la présence de l’arsenic ; elles annoncent que le platine d’un endroit n’est pas de même qualité que celui d’un autre endroit ; elles prouvent qu’il se trouve en masse dans deux seules mines d’or, ou en grains et grenailles dans des montagnes toutes composées du sablon ferrugineux, et toujours près des mines d’or et dans des contrées volcanisées : la vérité de mon opinion me paraît donc plus démontrée que jamais, et je suis convaincu que plus on fera de recher-

  1. Histoire naturelle d’Espagne, chapitre du Platine.