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opinion qu’avec celle de l’auteur ; car, par l’addition du mercure, le fer, comme le platine, se sépare en poudre noire, et cela seul suffit pour infirmer les conséquences qu’on voudrait tirer de cette expérience ; enfin, si nous rapprochons les aveux de cet habile chimiste qui ne laisse pas de convenir : « Que le platine ne peut jamais être privé de tout fer… qu’il n’est pas prouvé qu’il soit homogène… qu’il contient cinq treizièmes de fer qu’on peut retirer progressivement par des procédés très compliqués, qu’enfin il faut, avant de rien décider, répéter sur le platine réduit toutes les expériences qu’il a faites sur le platine brut, » il nous paraît qu’il ne devait pas prononcer contre ses propres présomptions, en assurant, comme il le fait, que le platine n’est pas un alliage, mais un métal simple.

M. Bowles, dans son Histoire naturelle de l’Espagne, a inséré les expériences et les observations qu’il était plus à portée que personne de faire sur cette matière, puisque le gouvernement lui avait fait remettre une grande quantité de platine pour l’éprouver ; néanmoins il nous apprend peu de chose, et il attaque mon opinion par de petites raisons : « En 1753, dit-il, le ministre me fit livrer une quantité suffisante de platine avec ordre de soumettre cette matière à mes expériences et de donner mon avis sur le bon et le mauvais usage qu’on pourrait en faire ; ce platine qu’on me remit était accompagné de la note suivante : « Dans l’évêché de Popayan suffragant de Lima, il y a beaucoup de mines d’or, et une entre autres nommée Choco ; dans une partie de la montagne se trouve en grande quantité une espèce de sable que ceux du pays appellent platine ou or blanc » ; en examinant cette matière je trouvai qu’elle était fort pesante et mêlée de quelques grains d’or couleur de suie… Après avoir séparé les grains d’or, j’ai trouvé que le platine était plus pesant que l’or à 20 carats : en ayant fait battre quelques grains sous le marteau, je vis qu’il s’étendaient de cinq ou six fois leur diamètre, et qu’ils restaient blancs comme l’argent ; mais les ayant envoyés à un batteur d’or, ils se brisèrent sous les pilons… Je voulus fondre ce platine à un feu très violent, mais les grains ne firent que s’agglutiner… J’essayai de le dissoudre par les acides ; le vitriolique et le nitreux ne l’attaquèrent point, mais l’acide marin parut l’entamer, et ayant versé une bonne dose de sel ammoniac sur cet acide, je vis tout le platine se précipiter en une matière couleur de brique ; enfin, après un grand nombre d’expériences raisonnées, je suis parvenu à faire avec le platine du véritable bleu de Prusse. Ayant reconnu par ces mêmes expériences que le platine contenait un peu de fer, et m’étant souvenu que dans mes premières opérations les grains de platine, exposés à un feu violent, avaient contracté entre eux une adhérence très superficielle, puisqu’il ne fallait qu’un coup assez léger pour les séparer, je conclus que cette adhérence était l’effet de la fusion d’une couche déliée de fer qui les recouvrait, et que la substance métallique intérieure n’y avait aucune part et ne contenait point de fer. » Nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de nous arrêter ici pour faire sentir le faible de ce raisonnement, et le faux de la conséquence qu’en tire M. Bowles ; cependant il insiste, et, se munissant de l’autorité des chimistes qui ont regardé le platine comme un nouveau métal simple et parfait, il argumente assez longuement contre moi : « Si le platine, dit-il, était un composé d’or et de fer, comme le dit M. de Buffon, il devrait conserver toutes les propriétés qui résultent de cette composition, et cependant une foule d’expériences prouvent le contraire. » Cet habile naturaliste n’a pas fait attention que j’ai dit expressément que le fer et le platine n’étaient pas dans leur état ordinaire, comme dans un alliage artificiel ; et, s’il eût considéré sans préjugé ses propres expériences, il eût reconnu que toutes prouvent la présence et l’union intime du sablon ferrugineux et magnétique avec le platine, et qu’aucune ne peut démontrer le contraire. Au reste, comme les expériences de M. Bowles sont presque toutes les mêmes que celles des autres chimistes, et que je les ai exposées et discutées ci-devant, je ne le suivrai plus loin que pour observer que, malgré ses objections contre mon opinion, il avoue néanmoins : « Que, quoiqu’il soit persuadé