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existe en effet une autre matière à peu près aussi dense que l’or dont il serait composé avec un mélange de fer, et, dans ce cas, on pourrait le regarder comme un septième métal, surtout si l’on pouvait parvenir à en séparer le fer ; mais, jusqu’à ce jour, tout me semble démontrer ce que j’ai osé avancer le premier, que ce minéral n’est point un métal simple, mais seulement un alliage de fer et d’or. Il me paraît même qu’on peut prouver, par un seul fait, que cette substance dense du platine n’est pas une matière particulière essentiellement différente de l’or ; puisque le soufre ou sa vapeur agit sur tous les métaux, à l’exception de l’or, et que n’agissant point du tout sur le platine, on doit en conclure que la substance dense de ce minéral est de même essence que celle de l’or, et l’on ne peut pas objecter que par la même raison le platine ne contienne pas du fer, sur lequel l’on sait que le soufre agit avec grande énergie, parce qu’il faut toujours se souvenir que le fer contenu dans le platine n’est point dans son état métallique, mais réduit en sablon magnétique, et que dans cet état le soufre ne l’attaque pas plus qu’il n’attaque l’or.

M. le baron de Sickengen, homme aussi recommandable par ses qualités personnelles et ses dignités que par ses grandes connaissances en chimie, a communiqué à l’Académie des sciences, en 1778, les observations et les expériences qu’il avait faites sur le platine ; et je fais ici volontiers l’éloge de son travail, quoique je ne sois pas d’accord avec lui sur quelques points que nous avons probablement vus d’une manière différente. Par exemple, il annonce, par son expérience 21, que le nitre en fusion n’altère pas le platine ; je ne puis m’empêcher de lui faire observer que les expériences des autres chimistes, et en particulier celles de M. de Morveau, prouvent le contraire, puisque le platine ainsi traité se laisse attaquer par l’acide vitriolique et par l’eau-forte[1].

L’expérience 22 de M. le baron de Sickengen paraît confirmer le soupçon que j’ai toujours eu que le platine ne nous arrive pas tel qu’il sort de la mine, mais seulement après avoir passé sous la meule, et très probablement après avoir été soumis à l’amalgame : les globules de mercure, que M. Schœffer et M. le comte de Milly ont remarqués dans celui qu’ils traitaient, viennent à l’appui de cette présomption que je crois fondée.

J’observerai, au sujet de l’expérience 55 de M. le baron de Sickengen, qu’elle avait été faite auparavant et publiée dans une lettre qui m’a été adressée par M. de Morveau, et qui est insérée dans le Journal de Physique, tome VI, page 193 : ce que M. de Sickengen a fait de plus que M. de Morveau, c’est qu’ayant opéré sur une plus grande quantité de platine, il a pu former un barreau d’un culot plus gros que celui que M. de Morveau n’a pu étendre qu’en une petite lame.

Je ne peux me dispenser de remarquer aussi que le principe posé pour servir de base aux conséquences de l’expérience 56 ne me paraît pas juste ; car un alliage, même fait par notre art, peut avoir ou acquérir des propriétés différentes dans les substances alliées, et par conséquent le platine pourrait s’allier au mercure sans qu’on pût en conclure qu’il ne contient pas de fer, et même cette expérience 56 est peut-être tout ce qu’il y a de plus fort pour prouver au moins l’impossibilité de priver le platine de tout fer, puisque ce platine revivifié, que l’on nous donne pour le plus pur et qui éprouve une sorte de décomposition par le mercure, produit une poudre noire martiale, attirable à l’aimant, et avec laquelle on peut bien faire le bleu de Prusse : or pour conclure, comme le fait l’illustre auteur (expérience 59), que l’analyse n’a point de prise sur le platine, il aurait fallu répéter, sur le produit de l’expérience 59, les épreuves sur le produit de l’expérience 56, et démontrer qu’il ne donnait plus ni poudre noire, ni atomes magnétiques, ni bleu de Prusse ; sans cela, le procédé qui fait l’amalgame à chaud n’est plus qu’un procédé approprié qui ne décide rien.

J’observe encore que l’expérience 64 donne un résultat qui est plus d’accord avec mon

  1. Voyez les Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. II, p. 152 et suiv.