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d’exposer seront de mon avis, et que les chimistes ne s’obstineront pas à regarder comme un métal pur et parfait une matière qui est évidemment alliée avec d’autres substances métalliques. Cependant voyons encore de plus près les raisons sur lesquelles ils voudraient fonder leur opinion.

En recherchant les différences de l’or et du platine jusque dans leur décomposition, on a observé : 1o Que la dissolution du platine dans l’eau régale ne teint pas la peau, les os, les marbres et pierres calcaires en couleur pourpre, comme le fait la dissolution de l’or, et que le platine ne se précipite pas en poudre couleur de pourpre, comme l’or précipité par l’étain ; mais ceci doit-il nous surprendre, puisque le platine est blanc et que l’or est jaune ? 2o L’esprit-de-vin et les autres huiles essentielles, ainsi que le vitriol de fer, précipitent l’or et ne précipitent pas le platine ; mais il me semble que cela doit arriver, puisque le platine est mêlé de fer avec lequel le vitriol martial et les huiles essentielles ont plus d’affinité qu’avec l’eau régale, et qu’en ayant moins avec l’or elles le laissent se dégager de sa dissolution. 3o Le précipité du platine par l’alcali volatil ne devient pas fulminant comme celui de l’or, cela ne doit pas encore nous étonner ; car cette précipitation produite par l’alcali est plus qu’imparfaite, attendu que la dissolution reste toujours colorée et chargée de platine, qui dans le vrai est plutôt calciné que dissous dans l’eau régale : elle ne peut donc pas, comme l’or dissous et précipité, saisir l’air que fournit l’alcali volatil, ni par conséquent devenir fulminante. 4o Le platine traité à la coupelle, soit par le plomb, le bismuth ou l’antimoine, ne fait point l’éclair comme l’or, et semble retenir une portion de ces matières, mais cela ne doit-il pas nécessairement arriver, puisque la fusion n’est pas parfaite et qu’un mélange avec une matière déjà mélangée ne peut produire une substance pure, telle que celle de l’or quand il fait l’éclair ? Ainsi toutes ces différences, loin de prouver que le platine est un métal simple et différent de l’or, semblent démontrer au contraire que c’est un or dénaturé par l’alliage intime d’une matière ferrugineuse également dénaturée ; et si notre art ne peut rendre à ces métaux leur première forme, il ne faut pas en conclure que la substance du platine ne soit pas composée d’or et de fer, puisque la présence du fer y est démontrée par l’aimant, et celle de l’or par la balance.

Avant que le platine fût connu en Europe, les Espagnols, et même les Américains, l’avaient fondu en le mêlant avec des métaux, et particulièrement avec le cuivre et l’arsenic ; ils en avaient fait différents petits ouvrages qu’ils donnaient à plus bas prix que de pareils ouvrages en argent ; mais, avec quelque métal qu’on puisse allier le platine, il en détruit ou du moins diminue toujours la ductilité ; il les rend tous aigres et cassants, ce qui semble prouver qu’il contient une petite quantité d’arsenic, dont on sait qu’il ne faut qu’un grain pour produire cet effet sur une masse considérable de métal : d’ailleurs, il paraît que, dans ces alliages du platine avec les métaux, la combinaison des substances ne se fait pas d’une manière intime ; c’est plutôt une agrégation qu’une union parfaite, et cela seul suffit pour produire l’aigreur de ces alliages.

M. de Morveau, aussi savant physicien qu’habile chimiste, dit avec raison que la densité du platine[1] n’est pas constante, qu’elle varie même suivant les différents procédés qu’on emploie pour le fondre, quoiqu’elle n’y prenne certainement aucun alliage[2] : ce fait ne démontre-t-il pas deux choses ? la première, que la densité est ici d’autant moindre

  1. Selon M. Brisson, le platine en grenaille ne pèse que 1 092 livres 2 onces le pied cube, tandis que le platine fondu et écroui pèse 1 423 livres 9 onces, ce qui surpasse la densité de l’or battu et écroui, qui ne pèse que 1 355 livres 5 onces. Si cette détermination est exacte, on doit en inférer que le platine fondu est susceptible d’une plus grande compression que l’or.
  2. Éléments de chimie, t. Ier, p. 110.